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où se nouent en quelque sorte les mains qui depuis quatre ans s’étreignent, tendues de Paris et de Londres.

Si, devenu maître, ainsi qu’il menaçait de le devenir, de Montdidier et de Moreuil, l’Allemand parvenait non seulement à franchir l’Avre, mais à gagner la petite vallée de la Noyé, les routes du Sud étaient coupées entre Paris et Amiens ; Amiens, menacé par le Sud, le serait par l’Est, si, dans le Santerre, la résistance britannique fléchissait ; et Amiens pris, c’était pour l’Entente telle mésaventure qu’elle pouvait alors être mortelle. Or, l’armée Gough ne s’arrêtait point et de grandes craintes assombrissaient les âmes et les visages.

Puisque les circonstances, à la veille d’imposer enfin l’unité de commandement, amenaient les Français à apporter partout où était nécessité, leur loyal, cordial et efficace appui à des Alliés si formidablement attaqués, puisque (les renseignements venus de toute part en faisaient foi) la bataille d’entre Oise et Somme devenait « la Bataille » tout court, le général Pétain, qui ne perdait pas plus de vue Amiens que Compiègne, était résolu à jeter délibérément de nouvelles armées dans la mêlée : pour l’heure, il fallait qu’au plus vite, entre Montdidier et Amiens, les casques bleus reparussent comme ils venaient de reparaître de Terguier à Lassigny, comme ils devaient, quelques semaines plus tard, reparaître au Sud d’Ypres et à l’Est de Cassel menacés. Les Français entreraient, — c’était dans la logique, — franchement, largement, partout, dans la bataille de France.

En attendant qu’ils barrassent à l’Allemand la route d’Amiens nos soldats devaient, s’il en était temps encore, boucher la voie d’eau qui menaçait de se créer vers le Sud encore, à Montdidier. Or, la gauche de l’armée Humbert, nous l’avons vu, ne sentant plus l’Allié anglais, flottait forcément un peu, — en l’espèce la 22e division, — et quant à l’Allié, je disais à l’instant qu’il s’éloignait, cherchant, lui, sa liaison avec l’armée Byng au Nord : déjà son corps de droite, le 18e, était non plus dans la région Roye, mais dans celle de Moreuil, et la déchirure s’agrandissait. Flairant l’occasion plus qu’ils ne l’apercevaient nettement, les Allemands, on pouvait en être sûr, allaient pousser avec une énergie plus sauvage que jamais, tentant d’élargir le trou, isolant Amiens, menaçant Paris derechef, brisant en tout cas, une fois pour toutes, le front, séparant irrémédiablement l’armée Humbert des armées britanniques. Il