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barriques de vin à la gare. « J’ai chargé tout seul avec ma mère, » m’a-t-il dit, en mettant la charrette en contre-bas. Il n’aura quatorze ans qu’aux cerises prochaines. La terre peut se flatter d’avoir en ce moment de fiers apprentis !


Les plus grands seront sans doute définitivement conquis par le métier : ils se sentent aux yeux de tous laboureurs confirmés, chefs de chantier, d’ailleurs des hommes, des soldats attendant leur tour, prêts à partir. Parfois sur la route ils cambrent leur taille et cadencent leur pas, comme à la vigne ils prennent mesure du sac en portant la sulfateuse. Le sort des jeunes est, plus inquiétant : sans doute ils ont reçu le choc comme leurs aînés, mais il y a toujours pour eux le danger de l’école. Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée. L’abandon de la terre est un phénomène très complexe, dont l’école n’est pas seule responsable ; mais, comme c’est avant tout un phénomène moral, nous pouvons agir sur lui, dans l’âme de l’enfant par la force morale de l’école. Cette force morale est-elle vraiment, sans réserve, au service de la terre ? C’est toute la question. On doit à ses amis la vérité. L’école, du fait de sa méthode, malgré ses intentions et ses efforts, est franchement nuisible à la vocation paysanne.

C’est un grand malheur, et qui doit cesser, si nous voulons sauver la terre. Il ne cessera que par une réforme profonde de l’école du village. Cette école doit être paysanne, tenue par un maître paysan. Que personne ne se récrie : c’est une très haute ambition que nous avons pour l’un et pour l’autre. L’âme paysanne n’exclut aucune distinction intellectuelle ou morale, et même, dans l’application que nous en voulons faire à l’école, ne saurait s’en passer. Dans cette petite école, à l’orée des prairies ou des bois, on enseignera des choses très scientifiques et d’autres qui seront exquises. Le maître ne laissera pas d’être un savant ou un poète parce que chaque matin, en ouvrant sa fenêtre, il souffrira dans les plantes de la pluie qui n’est pas venue, ou qui, trop abondante, les noie. Mais il aura son cœur à l’unisson de tous les cœurs qui l’entourent, écoliers, parents, voisins. L’école sera vraiment accordée avec sa fin, la fin paysanne que nous lui voulons, sans exclusion des autres fins que l’école doit avoir.