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dans l’enseignement de la morale, si l’on a l’ambition qu’il soit déterminant et décisif pour l’écolier, devenu disciple. L’école, dans les soins qu’elle veut donner à la vocation paysanne, est arrêtée par les murs de sa prison. Rompons avec son intellectualisme abusif pour cultiver cette vocation dans ses trois racines profondes. La vocation et la science ne se connaissent pas, étant aux deux extrêmes de l’âme. L’une a besoin de chaude amitié et l’autre n’en a pas ni n’en saurait avoir. La vocation est à part de la science, d’un autre ordre. C’est le mot de Pascal qui vient sous ma plume : je ne l’écarte pas et lui veux même laisser ici toute sa plénitude.

La terre, notre terre nourricière, a toujours fait son devoir : en temps de paix par ses moissons, et aux jours de péril extrême, comme depuis quatre ans, par la force vive et profonde de sa paysannerie, musculature robuste et endurante de la nation en armes, dont le sang a si généreusement coulé sur les champs de bataille. Dans mon voisinage immédiat, sur neuf jeunes hommes qui, chaque année, venaient en amis m’aider à vendanger ma vigne, sept sont morts et un autre est mutilé. Notre coin a été particulièrement frappé. Mais voici un document d’une précise et douloureuse signification : à l’heure où j’écris ces lignes, il y a deux mille cinq cents aveugles de guerre dont dix-huit cents étaient des laboureurs. O race paysanne, mère des hommes durs au travail et à la bataille, comme tu as fait ton devoir ! Saurons-nous envers toi faire le nôtre ? L’heure est grave pour la terre, ravagée dans dix départements et dans tous désolée par la mort de ses fils, sans compter que d’autres formes de l’effort national ne manqueront pas de lui disputer les survivants. Son avenir dépend du courage et de la liberté d’esprit avec lesquels nous aborderons certaines questions, notamment celle de l’école paysanne.

Notre devoir envers la terre est multiple, et il s’en faut qu’il soit tout à l’école. Mais il y est et cela suffit. Saurons-nous le voir et le faire ? L’école saura-t-elle aimer d’une tendresse sincère, profonde et clairvoyante le petit apprenti qui chaque jour laboure avec Bergère et Médor ?


Dr EMMANUEL LABAT.