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Que l’on rapproche ces vers, dont Sainte-Beuve s’émeut à seize ans, de ceux qu’il écrivit plus tard pour Adèle :

… L’oiseau dans le feuillage
Aux instants les plus doux n’a de chant ni de voix

Il soupire, il se tait, il palpite, il expire,

Tout son souffle amoureux est à la Volupté.

Ce sont les mêmes images, le même rythme.

On en a assez vu, je pense, pour se rendre compte de la culture de Sainte-Beuve. Mais, dans ces cahiers, aucune trace de cette station qu’il va faire comme « roupiou » à l’Hôtel-Dieu ; aucune révélation non plus de ce « goût décidé pour l’étude de la médecine. » Il suivra cependant, en faisant sa philosophie avec Damiron, un Cours de physiologie, de chimie, etc. il n’en parlera pas une fois : il ne parle que de lettres…

Mais il nous faut quitter l’étudiant, pour retrouver le collaborateur de la Revue des Deux Mondes.

Sainte-Beuve entra à la Revue en 1831 ; il a écrit : « M. Buloz, homme de grand sens, et d’une valeur qu’il a montrée depuis, débutait alors fort péniblement : il essayait de faire une Revue qui l’emportât sur la Revue de Paris. Il avait le mérite, dès lors, de concevoir l’idée de cette Revue élevée et forte, qu’il a réalisée depuis. Il vint nous demander à tous, qui étions plus ou moins en vue, de lui prêter concours[1]. »

D’après la correspondance qui s’établit entre le directeur de la Revue et Sainte-Beuve, il me semble que celui-ci s’intéressa tout de suite au succès de l’entreprise. Plusieurs lettres en témoignent : la Revue c’est Sainte-Beuve ; son succès est le sien ; il la considéra un peu, au début, comme lui appartenant, et s’il s’en sépara par la suite, je pense que c’est parce qu’il ne s’y sentit pas suffisamment le maître. Certes, il y eut d’autres causes aussi, mais celle-ci a dû prévaloir : il n’est pas le maître. Il s’en plaint à M. Gaullieur en 1844[2]. « Je dois pourtant vous prévenir bien franchement d’un point, bien qu’il doive coûter à mon amour-propre ; c’est qu’il ne dépend aucunement de

  1. Ma biographie. Souvenirs et indiscrétions. Sainte-Beuve.
  2. Sainte-Beuve à M. Gaullieur. 25 octobre 1844 (Bulletin de l’Institut National Genevois, 1895).