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moi de faire insérer dans la Revue un article, même intéressant, et que j’insérerais si j’étais le maître : j’ai mon blanc-seing personnel (dont je n’abuse pas) et c’est tout. »

Ceci n’est pas une défaite vis-à-vis de son correspondant : ce qu’il écrit en 1844, il le répète deux ans après, et toujours avec amertume : « La Revue des Deux Mondes me cause bien des ennuis, malgré l’utilité dont elle nous est… » et il trouve cette utilité dénuée « de tout agrément, de toute gaieté, de tout sentiment de chez soi. » « Après quinze ans de collaboration, je m’y sens moins chez moi que le premier jour. » Et ce sont des reproches. « Buloz, homme de sens et de vigueur, manque d’horizon étendu, d’élévation dans ses vues. « Il lui fait un grief aussi de ne connaître que les hommes politiques, et d’ignorer « tous les ressorts qui meuvent les natures littéraires ! » Certes, que de ressorts devaient mouvoir le délicieux et ingrat Sainte-Beuve, « nature littéraire » s’il en fut ! Encore : « il ne croit qu’au positif, à l’intérêt du moment. » — Voilà les griefs ; cependant Sainte-Beuve répète que F. Buloz est « nécessaire, » mais « ai-je jamais pu y installer (à la Revue) les Olivier comme je l’aurais voulu ? — ils lui auraient été pourtant utiles[1]. »

Il n’y installa pas les Olivier ; il y installa Cousin, et c’était mieux ; du moins, il l’y attira, et ainsi il flattait Cousin, servait la Revue, et préparait pour lui-même l’avenir.

« Vous devriez bien demander à Peisse, écrit-il en 1836 à F. Buloz, un article un peu étendu sur la publication de l’Abeilard en tête duquel Cousin a mis un morceau, selon moi, de la plus grande beauté ! Peisse s’est fort occupé de ces matières, et son amitié pour Cousin le déciderait. Il le faudrait également pour plusieurs raisons, d’équité d’abord, et autres que je vous dirai[2]. »

Cette préface qui, au dire de Jules Simon, « était un livre, » et dont le philosophe avait fait précéder l’ouvrage autrefois célèbre d’Abélard le Sic et non, le directeur l’avait déjà demandée pour la Revue, il arrivait trop tard néanmoins, et Cousin répondit : « Je suis extrêmement flatté que la Revue pense à Abélard et à moi, mais le morceau que je devais lire est un mémoire, lequel a passé par les épreuves régulières et a été

  1. Sainte-Beuve à M. Gaullieur, 2 juin 1846.
  2. Sainte-Beuve à F. Buloz, inédite.