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car ils sont beaucoup plus nombreux dans une seule année que les grands écrivains de tout un siècle. Et ils pratiquent des vertus qui ne sont guère napoléoniennes. Après cela, que Napoléon fût un grand écrivain, personne n’y contredira. Pour y contredire, il n’y eut que Chateaubriand, qui déclare « fautive » la parole de l’Empereur et qui ajoute cependant : « Mais il donnait le mot d’ordre à l’univers ; ses bulletins ont l’éloquence de la victoire. » Chateaubriand, qui volontiers « disait, en parlant du grand César : nous deux ! » lui accordait au bout du compte la suprématie de l’action, mais réclamait la suprématie de la littérature. M. Périvier, lui, considère « que, chez Napoléon, la parole est aussi admirable que l’action. » Même, ayant choisi de célébrer Napoléon journaliste, peu s’en faut qu’il ne sacrifie le capitaine. Les prodiges des champs de bataille, remarque-t-il, perdent au cours de l’histoire leur vif éclat et finalement ressemblent aux « planètes refroidies qui errent dans l’espace. » Les victoires de Napoléon rejoignent celles d’Alexandre, d’Annibal et de César : et l’on dirait qu’Alexandre, Annibal et César, n’ayant pas été journalistes, s’évanouissent. « Déjà, à l’heure même où nous écrivons… » A l’heure où écrivait M. Périvier, les campagnes de Napoléon « s’éclipsaient » devant les batailles de la Marne, de l’Aisne, de l’Yser, de la Vistule et de Verdun ; Rivoli, Marengo, Austerlitz, Iéna commençaient « a pâlir dans le recul des temps. » M. Périvier concluait : « Il faut donc convenir que les victoires de Napoléon passent au second plan et ne seront plus désormais qu’un sujet d’études pour les historiens et les critiques militaires… » Quelle erreur ! Et comment ne pas voir, dans les nouveaux exploits de la France, la suite de sa plus glorieuse aventure ? L’énergie française, Napoléon ne l’a pas créée ; mais il l’a puissamment fortifiée : notre valeur militaire, telle qu’aujourd’hui elle se révèle, doit à l’Empereur1 assez pour qu’on n’ait pas le droit de reléguer parmi les anecdotes surannées des âges défunts Rivoli, Marengo, Austerlitz, Iéna… « Bien au contraire, certains mots de Napoléon, certaines phrases, certaines pages, certaines conversations, certaines correspondances demeureront aussi longtemps que vivra la langue française… » Allons ! disons-le, Napoléon journaliste empêchera que l’on n’oublie Napoléon capitaine ?… C’est bien d’aimer le sujet qu’on traite : et l’auteur, ainsi pourvu de zèle, animera sans doute sa besogne. Mais il faut pourtant garder la mesure, mettre les choses à leur plan, consentir que le journalisme ne fut jamais, dans l’activité de Napoléon, le principal et enfin ne pas approuver le dictionnaire de biographie et d’histoire qui rédigerait