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prolongé, dans les écrits des historiens et les dissertations des philosophes. L’envie et la haine sont les fruits vénéneux, que l’ambition des Hohenzollern aura semés sur le sol de la Germanie et dont tout bon Allemand pendant des années voudra se repaître. L’Allemagne de la paix demeurera obstinément hostile à ses rivales, comme le fut l’Allemagne d’avant la guerre.

Qu’on ne fonde pas trop d’espoir sur une révolution qui renverserait tout à coup l’autocratie et faciliterait la réconciliation de la nation avec les États de l’Entente. Les républicains d’outre-Rhin, réfugiés en Suisse, nous avertissent que nous nourririons là une dangereuse utopie. L’Allemand, façonné dès l’école à l’obéissance passive, attaché par tradition à la formule monarchique, est d’autant moins capable de s’insurger que toute la force militaire est concentrée dans les mains impériales. L’armée, — il le sait bien, — aurait vite balayé l’émeute, comme elle balaie aujourd’hui toute manifestation contre le pain rare et la vie chère.

Que faites-vous donc du socialisme ? me dira-t-on. Il profitera des rancunes, des déceptions et des deuils, légués par la guerre. Rien de plus probable. Mais où cela le mènera-t-il ? La doctrine socialiste, native de l’Allemagne, y était devenue surtout un article d’exportation. Ce produit national ne se consommait dans le pays que sous une forme singulièrement mitigée. On l’écoutait à l’état brut au dehors avec la marchandise à bon marché. Il servait à étendre l’influence du germanisme sur les travailleurs du monde entier. Il a été un élément d’infiltration et de propagande plus actif que les livres ou les produits industriels.

Lorsque la guerre de l’Empereur, la guerre « fraîche et joyeuse, » a été proclamée, les chefs de la social-démocratie, un seul excepté, ont reçu instantanément le baptême de l’impérialisme, néophytes ardents du culte de la force, partisans résolus des conquêtes, qui leur apparaissaient faciles et certaines. Ils sont allés, à l’instigation du Chancelier, prêcher la bonne parole chez les neutres. La lutte prenant un caractère plus âpre qu’ils ne l’avaient pensé, ils se sont efforcés, au moyen de l’Internationale, où ils régnaient autrefois, de séduire les socialistes étrangers, leurs disciples d’hier, par l’appât d’une paix sans annexions ni indemnités, qui ne cachait qu’une paix allemande. On les a mal payés à Berlin de leur servilité et de leurs peines.