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perpétuellement son existence dans la lutte. » Ainsi, le pacifisme d’Emerson ne concerne point le passé. Mais il règne sur l’avenir. Emerson croit la guerre condamnée par le commerce, le savoir, les arts, voire par les arts de la guerre, la tactique et la poudre à canon. Certes, il n’est pas difficile de le reprendre là-dessus désormais, quand on a vu les convoitises commerciales d’un peuple déchaîner la guerre universelle, — n’est-ce pas parmi les industriels et les boutiquiers d’Allemagne que le pangermanisme a recruté ses adhérents les plus belliqueux ? — et quand on a vu la plus terrible guerre durer des années, en dépit des engins les plus scientifiques et abominables. Mais, pour supprimer la guerre à tout jamais, Emerson compte sur le sentiment moral. Jusqu’à présent, le sentiment moral n’a pas supprimé la guerre : il la supprimera !… Pourquoi le croyez-vous et quel indice en avez-vous ? « La guerre est en déclin, dit Emerson ; et c’est avec étonnement que nous lisons les combats sauvages des temps anciens. » Mais notre étonnement n’y fait rien ; et, si nous lisons avec étonnement les combats sauvages des temps nouveaux, ce n’est pas notre étonnement qui supprime le scandale. Si ! réplique Emerson : « L’impression de scandale que nous ressentons en présence de tels faits prouve certainement que nous avons un peu progressé… L’éternelle poussée du bien a développé de nouvelles puissances, des instincts nouveaux. Une question sublime a fait tressaillir une âme heureuse, et encore une autre âme heureuse, en différentes parties du monde : l’amour ne pourrait-il exister aussi bien que la haine ? l’amour ne répondrait-il pas aux mêmes fins, et même mieux encore ? la paix ne saurait-elle régner aussi bien que la guerre ?… » Emerson croit que les bonnes idées font leur chemin, dans le monde, parmi les hommes, quels que soient les obstacles. Mais vont-elles vite ? Elles ne vont pas vite. Et l’idée de la paix universelle aura été plus lente que nulle autre. Qu’importe ? « La paix universelle est aussi certaine que la prédominance de la civilisation sur la barbarie et la prédominance du gouvernement libéral sur les formes féodales. » Mais tout cela est bien douteux ? Cela n’est pas douteux, pour Emerson. Mais on demande à Emerson : à quel moment, la paix universelle ? et voyez-vous seulement poindre son aurore ? Il vous répond, avec une sublime et déconcertante patience : « Tout d’abord, nous répondrons que nous ne faisons pas beaucoup de cas d’objections qui reposent tout simplement sur l’état présent du monde, si elles admettent l’utilité générale et l’excellence permanente du projet… » Le pacifisme d’Emerson, le voilà ; et qu’il ressemble à