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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/29

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V

Le droit a un adversaire plus redoutable que les princes, c’est la démagogie : eux cèdent parfois aux expériences, la démagogie renverse les uns sur les autres ses chefs avant qu’ils aient pu s’instruire. La Révolution française, que l’attaque de l’Autriche avait conduite en Belgique, était gouvernée par une démagogie résolue à faire le bonheur de tous les peuples, mais selon son goût et pas selon le leur. Son orgueil était d’avoir émancipé la raison. Sa plus grande œuvre de raison était l’anéantissement de Dieu, et son instinct avait découvert le symbole même des progrès accomplis quand elle consacra les Eglises au culte de la Raison. Ce culte fut ouvert à Louvain en 1795, et l’Université conviée. L’injure de l’invitation fut châtiée par la hauteur de la réponse : « Nous ne reconnaissons d’autre culte légitime, juste et salutaire, que celui que Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, a daigné nous révéler, et que son Eglise, église catholique, apostolique et romaine reconnaît. Et par conséquent, notre conscience ne nous permet aucune participation ou influence, directe ou indirecte, dans le culte à établir. » En France où l’omnipotence du prince trop subie, même par l’Eglise, avait préparé les voies à l’omnipotence de la plèbe, le courage de la foi avait eu ses confesseurs intrépides, mais nulle part il n’avait prononcé cette parole collective. Plus de deux ans, les envoyés de Paris essayèrent d’user la résistance qui, tantôt discrète contre les mutilations des privilèges universitaires, tantôt ouverte contre la violation du dimanche et le respect du Décadi, demeurait toujours intacte. On désespéra d’un entêtement trop peu « conforme aux principes de la République. » Le 27 octobre 1797, l’Université est supprimée, les professeurs dispersés ou mis en prison, et envoyé à Cayenne, où il devait mourir, le recteur qui avait dit : « Puisqu’il faut périr, tombons en défendant notre sainte foi, nos mœurs antiques, honnêtes et chrétiennes. L’Université aura pour dernière gloire en descendant dans la tombe son refus de fléchir devant le despotisme. » Un corps d’enseignement a en effet toutes les gloires, quand, après avoir gardé intacte une doctrine, il reste si inséparable d’elle que pour en finir avec elle il faille en finir avec lui.