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une sorte d’amitié amoureuse, assez singulière, et rare, dont la coquetterie, en ce qui le concerne, est exclue, mais dont la ferveur ressemble terriblement à celle de l’ancien amour.

La coquetterie est exclue de son amitié, car il n’hésite pas à se montrer à cette femme tel qu’il est, avec ses rudes défauts, souvent grossiers ou cyniques, défauts dont la fine Princesse lui fait honte. Bientôt les relations à Paris ne lui manqueront pas, mais le choix de ses affections féminines est médiocre, — et lorsque la Princesse « veut le détourner de vulgaires amours », c’est chez elle, à la Jonchère, « qu’elle le prie », et qu’elle s’efforce de l’en distraire. Son influence s’exerce aussi sur ses opinions. D’Aix, en 1836, désenchanté et souffrant, il dit à sa grande amie ses doutes. Ne craint-il pas par-dessus tout de perdre sa précieuse amitié ? « Est-ce que, madame, je ferai bientôt ma paix, paix ignoble avec les autorités d’outre-Rhin, pour pouvoir sortir des ennuis de l’exil, et de cette gêne fastidieuse, qui est pire qu’une pauvreté complète ? Hélas ! les tentations deviennent grandes depuis quelque temps… Mais qu’est-ce que signifient toutes ces paroles oiseuses, et qui pourraient vous faire croire que l’homme qui les écrit succombe au plus grand malheur, au malheur d’être indigne de votre amitié, Princesse ? Non, très bulle et très compatissante Princesse ! je ne suis que malade, etc.[1]. »

Il vint un temps où Mathilde Morat, d’abord maîtresse de Heine, puis sa femme, « femme dont la tête était aussi vide que le corps était splendide[2], » l’éloigna de toute société choisie ; elle fut « passivement pour lui son mauvais génie, dans la seconde moitié de sa vie ; » elle l’éloigna aussi de ses premières amitiés, les plus précieuses.

En septembre 1847, déjà cruellement atteint par cette paralysie qui devait le terrasser huit années et jusqu’à la fin, il écrivait à la princesse Belgiojoso : « Ma maladie est devenue insupportable, la paralysie a gagné aussi les pieds, les jambes, et tout le bas-ventre, de sorte que, depuis une quinzaine, je ne puis plus marcher du tout… » et cette année 1817, il donna à la Revue « cette fantaisie qu’il rapporta naguère de Cauterets, » Atta-Troll, singulier poème dont un ours était le héros. Dans ce poème, d’une imagination brillante, parait une Juliette.

  1. Citée par Legras, Henri Heine, poète. Appendice.
  2. Mme C. Joubert, Mes Souvenirs.