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se dressait un panache « de telle sorte qu’elle paraissait une reine. »

Pour son portrait, en face de son mari, aux pieds de la Vierge et de divers saints, il lui fallait une autre toilette, moins souveraine, mais qui fit tout de même honneur à la divine compagnie. Vous la verrez, quand vous irez à Milan, si vous visitez le musée Brera et affrontez la solitude et l’ennui de la salle XVII, pour y chercher un grand tableau de sainteté appelé la Pala Sforzesca, autrefois à Saint-Ambroise ad Muros. Une harmonie en bleu, or et blanc sale avec des tranches de rouge cru sur les bords. On le donne tantôt à Zenale, tantôt à Ambrogio de Prédis, tantôt à Bernardino dei Conti, tantôt à Antonio da Monza, et quel que soit celui à qui on le donne, on ne lui fait pas un grand cadeau. C’est une assez méchante peinture. Mais quelle admirable gravure de modes ! La Providence, dans sa bonté, a voulu qu’il y eût de mauvais peintres, afin que nous eussions d’exactes restitutions du passé. Il y a des indices que celle-ci est exacte. Ainsi, on a retrouvé un fragment du velours même dont est faite la tunique de Ludovic le More : bleu azur à garnitures satinées avec le motif ananas et œillets. Béatrice, de profil gauche, à genoux, les mains jointes, porte une robe pékinée, bleu, noir et or sur toute la longueur et aussi sur les manches, habit d’Arlequin, long, ajusté, dessinant les formes, décolleté assez haut, laissant voir une mince gorgière rose bordée d’un fil de perles. Un chapelet de crevés, par où jaillit la chemise blanche, s’arrondit autour de l’épaule et descend sur les manches jusqu’aux poignets, partout étranglé par des nœuds et des flots de rubans saumon.

Derrière la tête, coiffée comme notre buste, pend jusqu’à terre la longue et raide torsade, noire et blanche, le cuazzone des Milanaises, cheveux roulés dans une étoffe blanche et serrés par un cordonnet noir croisé en X. Il y a aussi des bijoux. La coiffe est faite de grosses perles serrées portant, vers la tempe, en appliques sur les cheveux, une pendeloque faite aussi de deux plaques superposées, rubis clair et saphir et, au-dessous, trois énormes perles disposées en guirlande ou giande, selon l’usage du temps. La ferronnière est faite de petits losanges de jais. Un collier également composé de losanges de jais ceint le cou et un long sautoir, fait de jais et de perles alternés, se suivant comme chenilles processionnelles, descend