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de 9 000, lorsqu’en 1897 les socialistes eurent l’idée de joindre en un même projet de loi deux propositions assez diverses, tendant à supprimer le budget des cultes- et à créer une caisse de retraites pour la vieillesse. Cet artifice déplut au Grand Conseil, qui rejeta le projet, et qui le fit rejeter par une majorité populaire, moins forte que celle de 1880.


IV

Il suffisait pourtant d’un regard sur les Eglises pour que les partisans de la séparation sentissent leurs arguments s’affermir et leur cause destinée à vaincre. Plusieurs notabilités protestantes sentaient sourdement, malgré les deux votes successifs du peuple, que cette solution s’imposerait un jour ; elles essayaient de s’y préparer et d’y préparer leur Eglise, avec vaillance et gravité. Un jeune pasteur d’origine alsacienne, Frommel, en 1898, prenait la parole dans une séance que tenaient, à la salle de la Réformation, quelques hommes de foi, soucieux de la « situation ecclésiastique et religieuse de Genève. » Il observait que, depuis 1874, l’Église nationale genevoise, fondée sur la liberté illimitée de conviction et d’enseignement, n’était plus, en principe et en droit, ni une Eglise chrétienne, ni une Eglise ; qu’en 1846 elle avait été démocratisée, qu’en 1874 elle avait été déchristianisée. On pourrait dire qu’elle n’a qu’un dogme, concluait-il : ce dogme, c’est une licence doctrinale absolue. Il déplorait l’association bâtarde des diverses tendances théologiques coexistant d’une façon factice dans un même organisme religieux : les chaires de la ville, où se succédaient, d’un dimanche à l’autre, des orateurs de croyances différentes, lui paraissaient donner une leçon hebdomadaire et subtile de scepticisme.

Mais Frommel se hâtait d’ajouter qu’en fait, l’Eglise était, au moins partiellement, restée chrétienne, par la force de son passé, de ses souvenirs, de ses traditions. Et, constatant cette contradiction entre ce que l’Eglise était en droit et ce qu’elle était en fait, il regrettait la fausse position dans laquelle étaient relégués les conducteurs de l’Eglise, l’opportunisme fâcheux auquel ils étaient condamnés. Il regardait l’assistance que groupaient les prêches, il les voyait très faiblement suivis par une partie notable de la bourgeoisie, presque en aucune mesure par les classes populaires.