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Frommel, alors, poussait un cri d’alarme. En 1874, les croyants n’avaient accepté que comme une gêne provisoire cette organisation légale de l’Église, et puis, peu à peu, ils s’y étaient accommodés ; et si la séparation survenait, concluait Frommel, elle nous trouverait en pleine apathie, en pleine désorganisation, en pleine imprévoyance, en pleine déroute de principes, de plans et de prévisions. Que faire donc ? Fonder une Eglise à part ? Frommel n’était pas de cet avis, car il savait que les convictions ecclésiastiques nécessaires manquaient au grand nombre, qu’elles ne subsistaient plus qu’au sein d’une infime minorité. C’est dans l’Église même qu’il aspirait à voir se former, temporairement, un groupe d’évangélisation, et ce groupe plus tard s’absorberait et se perdrait joyeusement dans l’Eglise véritable et nouvelle que, par la grâce de Dieu, il aurait contribué à former. Au même moment, le pasteur Henry Appia, précurseur du mouvement protestant social, parlait avec émotion d’une vieille dame protestante qui disait : Je suis entrée dans la société de tempérance de la Croix-Bleue pour trouver une famille spirituelle ; j’étais trop isolée au point de vue religieux. — Appia concluait qu’on avait besoin d’une famille spirituelle : l’Église nationale n’en était pas une.

L’âme de Frommel, l’âme d’Appia, furent très réjouies par la fondation de l’Association évangélique, dont M. le pasteur Frank Thomas est depuis vingt ans l’orateur très écouté. Tout de suite elle attira de nombreux fidèles, et M. Henri Fazy, en 1906, pouvait dire au Grand Conseil : « C’est assez bizarre, voilà le prédicateur protestant qui a peut-être le plus d’influence sur la masse, qui remue le plus d’auditeurs, et par un fait assez étrange il est en dehors de l’Église. » C’est ainsi que le succès même d’une initiative qui préparait l’Église protestante de Genève à supporter la séparation future et à l’envisager sans crainte devenait, grâce au prestige du pasteur qui s’y était dévoué, un argument nouveau pour le vote de la séparation.

Mais le spectacle du catholicisme genevois était encore plus persuasif, on pourrait même dire plus impérieux. En théorie, sous réserve de quelques amendements ultérieurs, les lois de 1873 duraient toujours. En fait, sur vingt-trois paroisses catholiques prévues par le budget, il s’en trouvait dix-huit qui en 1906 n’avaient plus de curés nationaux. Les catholiques romains, dans ces paroisses, avaient pu, depuis 1897, reprendre