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Le jeune pasteur Pierre Picot, qui venait de déployer en Belgique une grande activité pour la propagande protestante, arrêtait sur Genève, en cette décisive semaine, ses yeux pénétrants et profonds, qu’une mort prématurée devait bientôt fermer. Au fond, disait-il, ce qui faisait la piété de beaucoup de Genevois, c’était l’attachement à certaines traditions et non pas la foi au Dieu vivant. Il comprenait la séparation : « Une religion semblable ne pouvait pas durer éternellement. Elle était incapable de relever les pécheurs, de réparer les brèches ; elle pouvait tout au plus conserver ce qui existait. Or, à Genève, ce qui existait s’en allait : l’invasion étrangère, le malthusianisme de la population autochtone se chargeait de le détruire. » Ainsi parlait Picot, avec une sincérité audacieuse : « La séparation, concluait-il, m’apparaît comme un puissant appel, adressé à tous, à la repentance et à l’affirmation profonde et agissante des choses invisibles. A nous d’y répondre. » Quelques antiséparatistes, au lieu de répondre à ce pressant appel, s’occupaient de former, sous l’archaïque patronage de Philibert Berthelier, l’un des héros traditionnels de l’antique autonomie genevoise, une belliqueuse association, qui viserait à demander le rétablissement du budget des cultes et à provoquer ainsi un nouveau vote populaire : leur journal, à la veille de Noël 1907, publiait une lettre violente contre « ces Genevois de fournée nouvelle, apothicaires et charpentiers, qui étaient en communion d’esprit avec les dix-sept traîtres au pays. » Ces Genevois d’une fournée nouvelle, c’étaient les chefs catholiques ; les dix-sept traîtres, c’étaient les pasteurs séparatistes. Mais l’association Philibert-Berthelier devait rester à mi-chemin ; suivant les conseils du président du Consistoire, l’Eglise protestante, séparée de l’Etat, aimait mieux regarder l’avenir que d’inaugurer une politique de récriminations oiseuses.


VI

« Antiséparatistes et séparatistes, tout ardents encore des récentes batailles, allaient s’unir pour réorganiser l’Eglise. S’unir, pourquoi, et pourquoi une Église une ? L’illustre théologien Frommel venait de mourir, à l’âge de 43 ans, après avoir exercé à la Faculté de théologie de Genève une influence profonde, sur les âmes plutôt que sur les doctrines. Il aimait