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national, à la pratique du culte réformé, fut un hommage et un dernier salut à cette vieille Genève qui subissait le reste de la loi comme on subit un soufflet.

Les fêtes de 1913 et 1914, qui commémorèrent à Genève la fin de la domination française et l’entrée de la ville dans la Confédération suisse, ont épanoui, dans les rues et dans les âmes genevoises, le patriotisme helvétique : elles ont assurément contribué à le rendre plus intense, plus vivant. C’est là, pour la Genève contemporaine, la meilleure garantie de paix religieuse. Sur l’horizon de la ville et du canton, les souvenirs de ce qui fut et de ce qui n’est plus risquent toujours d’accumuler les nuages ; la dualité des Genevois de vieille date et des Savoyards fraîchement immigrés apparaît avec une certaine crudité ; le catholique, même naturalisé, passe aisément pour un demi-étranger. Mais, à mesure que l’idée de la patrie suisse dominera, sans d’ailleurs l’abolir, la notion de la cité genevoise, cette notion se dépouillera de ce qui lui reste encore d’un peu âpre, de jalousement défensif, de facilement belliqueux, de volontairement intransigeant ; et, d’autre part, à mesure que les catholiques de Genève, comme le comprit fort bien l’abbé Carry, se sentiront des Suisses et donneront l’impression qu’ils se sentent tels, tout prétexte manquera pour les réputer citoyens de seconde catégorie dans Genève ville suisse. De ces familles catholiques, quelques-unes d’ailleurs ne peuvent-elles pas se ranger parmi les plus anciennes familles genevoises, parmi les plus anciennes familles suisses de la cité, puisque, après avoir émigré en 1535, elles rentrèrent quand rentra la liberté ? Il est permis d’espérer qu’à la faveur de ce patriotisme élargi, la paix religieuse se maintiendra dans Genève.

Ainsi s’exaucerait au-delà de la tombe le vœu du philosophe qui, suivant un mot de Frommel, domine incontestablement la Genève morale et religieuse de la seconde moitié du XIXe siècle, Ernest Naville. Il était fils et membre du « peuple de Dieu, » et, en même temps, il respectait, aimait et comprenait presque complètement, depuis un séjour qu’il avait fait en Italie en 1840, l’autre confession chrétienne : la puissante organisation romaine, la poésie du culte catholique le séduisaient.

Il valut mieux peut-être, pour la joie de son âme, qu’il n’assistât pas aux évolutions présentes de l’Eglise de Genève : il attachait trop d’importance au Credo pour qu’on puisse