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supposer qu’elles l’eussent satisfait. Il voulait que le Christ fût cru. Il saluait, dans l’une et l’autre Eglise, les âmes qui croyaient au Christ, qui l’écoutaient parler de sa mission, de sa filiation, de sa préexistence éternelle, et qui adoraient. Jamais citoyen de Genève ne fut plus libéré qu’Ernest Naville de la peur du catholicisme. Il en demeurait éloigné par deux ou trois motifs intellectuels ; il ne le redoutait pas, et d’avance il en acceptait les progrès.

Il avait beaucoup aimé un autre patricien genevois, Jean-Louis Micheli, le correspondant d’Augustin Cochin, et ce n’est assurément pas sans songer à l’état d’esprit de certains de ses compatriotes que Naville citait un jour quelques lignes curieuses de Micheli. Ce Micheli était si charitable, et si bon, et si aimant, qu’une pauvre femme disait de lui : Si Jésus-Christ avait un frère, ce serait M. Micheli. Or, aux alentours de 1847, Jean-Louis Micheli écrivait :


Nous sommes un pays mixte qui très possiblement peut devenir catholique. C’est une idée qui me fait horreur, mais qu’il vaut mieux regarder en face que de se buter contre, car c’est la vérité de la situation. Genève protestante, la Genève de Calvin, a donc brillé trois cents ans. Aucune gloire terrestre n’est éternelle. Il faut s’habituer à l’idée qu’une nouvelle ère commence pour nous ; ce qui doit consoler les chrétiens, c’est la pensée que le règne de Dieu dans les cœurs n’a aucun rapport avec ce qui se passe ici-bas, et que Genève humiliée, Genève mixte, Genève catholique aura peut-être plus d’âmes données à Christ que Genève brillant comme la Rome protestante.


Ces lignes étaient écrites au moment où James Fazy venait d’abattre, tout à la fois, les remparts de Genève et les remparts du vieux calvinisme. Mais sur les hauteurs où s’élevait la conscience religieuse de Micheli, la pensée religieuse de Naville, à peine apercevait-on, quelque place qu’elle eût tenue dans le monde, les convulsions suprêmes, émouvantes, de cette personnalité religieuse qui s’éteignait ; et par-dessus les ruines, imposantes encore aujourd’hui, de cette vieille Genève qui n’était qu’une mortelle, planait l’immortel souci du règne de Dieu.


GEORGES GOYAU.