Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais son père était seigneur de La Varenne ; et sa mère était née Magdelaine Avril : avant d’aller à sa triste aventure, il se composa, du nom de sa mère et d’un titre de son père, le nom d’Avril de La Varenne, un nom de guerre ou de colonie. M. le baron Marc de Villiers a retrouvé aux archives de Maine-et-Loire l’acte de baptême du garçon qu’il ne craint pas d’appeler « le héros de l’abbé Prévost. » Comme le nom de des Grieux n’était pas rare dans le Boulonnais, pays de l’abbé Prévost, l’auteur de Manon choisit d’appeler Avril de La Varenne des Grieux. Et Manon ? Quand elle arriva dans la Louisiane, elle se faisait appeler Froget ; puis elle se fît appeler Quantin : mais son état civil a disparu.

Avril de La Varenne et la fille Froget s’embarquèrent à Nantes, sur la Dauphine, le 6 mars 1715. La Dauphine est une flûte de faible tonnage, à destination de Biloxi. L’aventure d’Avril de La Varenne et de la fille Froget, nous la connaîtrons par une lettre de La Mothe-Cadillac, en date du 2 janvier 1716 : « Il est venu ici un jeune homme de condition appelé Avril de La, Varenne, qui est d’Angers, lequel a amené une femme qu’on dit avoir été mariée, et qui l’est peut-être encore, ayant laissé trois enfants en France. Elle a d’abord pris le nom de Froget, et à présent de Quantin, se disant mariée audit sieur de La Varenne… Cependant on a su par plusieurs endroits que cela était faux, que c’est une femme de mauvaise vie qui, ayant été chassée d’Angers, s’était retirée à Nantes… » A Nantes, elle fut mise en prison, sur la demande de l’évêque d’Angers. Un sieur Raujon, qui se rendait à la Louisiane, la fît évader, la fît admettre sur la Dauphine. C’est « une scandaleuse, qui avait séduit le sieur de La Varenne, ce qui causait un grand déplaisir à sa parenté. » Une fois arrivé à la Louisiane, le faux ménage se sépare : Avril de La Varenne part pour les Illinois, où Raujon l’a chargé d’une affaire ; et la fille Froget devient employée de Raujon, qui tient le magasin de M. Crozat. De mauvais bruits courent sur les relations de la Froget et de Raujon. M. le curé de l’Ile Dauphine recueille ces bruits et les colporte. La fille Froget présente une requête en réparation d’honneur, comme si l’honneur de la fille Froget n’était pas irréparable. « Elle se dit épouse dudit sieur de La Varenne ; et cependant elle convient qu’ils sont passés dans ce pays dans la confiance qu’ils ont eue qu’on les marierait, ce qui prouve bien qu’elle ne l’a jamais été avec le sieur de La Varenne… » La querelle s’envenima. Quand il revint des Illinois, Avril de La Varenne porta plainte, lui aussi : « Il est gentilhomme et son épouse est demoiselle ; il a été