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l’Italie. Bientôt, il ne peut plus compter que sur des États faibles eux-mêmes et menacés : Naples, Forli, Bologne, c’est-à-dire sur rien. Il n’a plus que des alliés lointains, très lointains : le grand Turc, — ce qui est ridicule, — et l’empereur Maximilien, — ce qui est purement honorifique. Sur ces entrefaites, le nouveau roi de France, Louis XII, passe les Alpes et approche avec trente mille hommes, masse énorme de combattants pour cette époque, commandés par un renégat milanais, ennemi personnel du More, par Trivulce. Les forteresses des Sforza tombent, l’une après l’autre. La trahison se glisse dans les villes. Pavie ferme ses portes à l’armée ducale. A Milan, même, le vœu secret de la foule appelle les Français. Un des fidèles du More, le trésorier Landriano, est assassiné par le peuple en pleine rue. Louis XII peut venir : il trouvera autant de partisans dans la ville qu’au dehors.

Reste le Castello, imprenable à moins d’un long, d’un très long siège. Tandis que les Français y auront les dents, Ludovic espère trouver des secours en Allemagne. Il part secrètement pour le Tyrol, confiant la citadelle, le dernier réduit de la puissance Sforzesque, à un ami éprouvé, à Bernardino da Corte. Bernardino da Corte jure de la défendre jusqu’au dernier soupir. Mais onze jours ne se sont pas écoulés qu’il la livre à Louis XII. Le roi de France n’en croit pas ses yeux, lorsqu’il y entre et qu’il voit avec quel art suprême le More avait aménagé cette forteresse. Tout avait été prévu pour supporter un long siège, jusqu’à un système de signaux pour communiquer, jour et nuit, avec le dehors. Ludovic, non plus, ne peut croire ce qu’il lit, quand il reçoit la fatale nouvelle : il demeure frappé de stupeur et, pendant un long temps, d’aphasie. « Depuis Judas, finit-il par articuler, il n’y a pas eu un plus grand traître que Bernardino da Corte ! »

Quelques mois après, lorsque, dans un suprême effort, il tente de reconquérir son duché, à la tête de troupes levées en Suisse, il a un instant l’illusion d’un retour de fortune. Il rentre à Milan, et la populace, déjà dégoûtée des Français, l’acclame, mais c’est pour peu de temps. Cet été de la Saint-Martin ne dure que trente jours. Une nouvelle armée française, sous les ordres de La Trémoïlle, débouche en Lombardie. Le More tente de lutter à Novare : tout l’abandonne. Les Suisses, tout à coup, refusent de se battre contre leurs compatriotes à la solde du