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attaquant à la torpille sur la distance et la route du navire visé, élément nécessaire au réglage du tir. La Marine française a créé une section de camouflage qui se préoccupe d’appliquer les enseignements de l’Amirauté britannique. Il est curieux de contempler aujourd’hui, dans les ports, les steamers ornés d’arabesques bizarres qui rappellent les fantaisies de l’Ecole cubiste. C’est à croire que les plus extravagants parmi les impressionnistes et les décadents les plus morbides ont inspiré ces dessins, et opposé ces couleurs vives au bleu limpide de l’horizon. Ni les luministes de Meilhac et Halévy, ni les cubistes des Salons d’avant-guerre n’avaient certainement prévu cette conséquence militaire du trouble visuel, que ne manquent pas de ressentir les curieux qui s’arrêtent devant leurs élucubrations. Mais sur nos navires, une conception savante préside à l’agencement de ces arabesques qui font parfois sourire ceux qui n’en comprennent point l’intérêt.

Il faut savoir que la couleur par elle-même ne joue qu’un rôle secondaire dans le camouflage qui oblige le commandant de sous-marin à prolonger son examen au périscope. On avait essayé, tout d’abord, d’obtenir une diminution de la visibilité des navires en utilisant le principe du mimétisme. De ce côté, l’insuccès a été complet. Une coque, moins apparente sous un certain éclairage, pour une cause déterminée, sera, au contraire, rendue par cette même cause plus visible sous un éclairage différent du premier. Or, les éclairages sur mer varient à l’infini. Mais on peut abuser l’adversaire sur la direction, la dimension et la distance du navire, grâce à des contrastes de couleurs, l’œil, ne possédant pas la faculté de s’accommoder à la fois à des nuances très diverses et ne distinguant bien que l’une d’elles. On peut induire l’assaillant en erreur sur la marche du bâtiment en l’égarant sur le sens dans lequel fuient ses horizontales, en supprimant toutes les lignes verticales ou parallèles entre elles et en général tous les plans réguliers et prévus. On peut changer l’aspect de ces lignes en créant de fausses étraves, de faux arrières, de fausses cheminées, etc. Ce qui prouve l’importance des services rendus par cet art subtil du camouflage, c’est que nos ennemis entraînent leurs officiers à s’y accoutumer au cours d’exercices d’attaque sur des cibles camouflées. Chez nous, l’ancien Jeu de Paume des Tuileries a été affecté à l’École technique de camouflage.