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Notre confrère en a très bien suivi le progrès et marqué le couronnement ou l’apothéose. Si la musique, cette fois encore, s’élève au plus haut degré du lyrisme, ce n’est pas l’action, c’est le sentiment, au paroxysme lui-même, qui l’y porte. Norma vient d’avouer sa faute, et maintenant, près de monter sur le bûcher, elle confie à la tendresse, à la pitié de son père, les deux enfants nés de ses coupables amours. Trois lignes de poésie, dix-huit mesures de mélodie, pas davantage. Mais de quelle mélodie ! Elle est comprise et comme enfermée tout entière en un seul ton, mais singulièrement variée d’intervalles et d’accents rythmiques. Avec cela, telle est l’ampleur du souffle musical, telle en est aussi la force, qu’il emporte les paroles ou les absorbe. Elles ne comptent plus, elles ne sont plus. Elles n’ont fait qu’indiquer, au début, le thème sentimental ou passionnel. Celui-ci désormais appartient à la seule mélodie, à la mélodie toute-puissante. De note en note, de mesure en mesure, elle se dilate, elle monte. Et quand elle a touché le faite, quand on peut craindre qu’elle en retombe, alors elle se relève encore et, par la transition la plus simple, mais la plus éloquente, elle passe du mineur au majeur, où elle se renouvelle et s’épanouit. C’est ici précisément que s’accomplit la résolution ou la délivrance que célèbre avec enthousiasme M. Pizzetti. « Ici nous sentons vaincue et surpassée toute contingence dramatique, toute réalité passagère, et la passion, et la souffrance, et la douleur… Une émotion nous remplissait, nous opprimait… émotion large, profonde, et dont nous étions près de défaillir. Et maintenant, par la vertu de ce chant nouveau, de ce chant si large, qui s’élève toujours plus haut dans toute sa pureté, dans toute sa nudité, voici que du fond de notre âme montent et jaillissent, non des sanglots, non des cris, mais des pleurs, des pleurs silencieux et doux, des pleurs qui sont purification, délivrance et félicité. »

Ainsi, quand elle essayait d’expliquer à Goethe le caractère et le rôle de l’accord de septième dominante, de cet accord qui résout et se résout, Bettina Brentano l’appelait « l’accord libérateur. » Pareilles à certaines harmonies, il y a des mélodies libératrices. Les belles cantilènes de Bellini sont de celles-là.

Gabriele d’Annunzio, fêtant le premier centenaire de la naissance du musicien, avait raison de célébrer la mélodie « montant dans l’air qui la nourrit ; la mélodie simple, nue, isolée, comme, dans le temple, la colonne de Paros ; la mélodie qui l’emporte sur toute parole. » Autant que sa victoire, que nous constations plus haut, reconnaissons également sa simplicité et sa solitude. M. Pizzetti