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les jours où l’on parcourait les rues de Varsovie, brillant essaim de fringants officiers de la Garde, à la tête des beaux régiments de Leurs Majestés impériales.

Une question me brûle les lèvres : je m’enhardis à la poser au colonel Gherchelman :

— Le bruit court que Kerensky est dans le voisinage. Que feriez-vous, s’il se présentait à vous et réclamait votre protection ?

— Je lui donnerais une escorte pour le conduire à l’état-major. Mais je doute fort qu’il y arrivât.

— Pourquoi, chez vous tous, cette haine contre lui ?

— Pourquoi ? Savez-vous ce que c’est que d’avoir formé un beau régiment, de lui avoir pendant vingt ans consacré toute sa pensée, toute son activité, tous ses soins, d’en avoir rehaussé l’éclat et la renommée, d’y avoir créé un magnifique esprit de corps, d’en avoir fait un instrument docile et terrible ? Et puis imaginez après cela qu’en trois mois, par une série de décrets, par une continuité d’action malfaisante, par la ruine de toute discipline, les régiments retombent à l’état de bandes de lâches et de pillards, fuyant devant l’ennemi, et massacrant leurs concitoyens ? Regardez alors qui a signé les décrets : un nom, toujours le même. Demandez-vous d’où est venue la propagande révolutionnaire et défaitiste dans les rangs : un homme, un même homme auquel remonte toute la responsabilité. Comprenez-vous maintenant pourquoi nous haïssons l’auteur responsable de cette œuvre néfaste ?


LA BATAILLE DE LEZGEANKA


Zimovnik Kouznietsovka, le 20 février/5 mars.

Depuis le matin le canon tonne devant nous. Les troupes de Kornilof sont engagées contre les Bolcheviks. Nous passons sans incident le chemin de fer Torgowaya-Rostof. Partout des paysans en fuite, des Cosaques, les uns à pied, d’autres à trois ou quatre sur la croupe d’un cheval. Nous ne doutons pas un seul instant que la victoire ne soit de notre côté. Mais la voie est barrée par un encombrement de voitures et de chevaux. Nous ne pouvons entrer au village qu’à sept heures, en pleine obscurité. Nos chevaux trébuchent sur les cadavres, surtout