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I

La cathédrale de Reims n’est pas une des plus anciennes. Il y avait plus d’un siècle que les Français avaient inventé la croisée d’ogive, principe de l’architecture nouvelle, et cinquante ans passés qu’ils élevaient des cathédrales, lorsque la basilique de Reims brûla et que l’archevêque Aubri de Humbert résolut de la reconstruire dans ce style nouveau qui faisait alors les délices de la chrétienté. C’est la troisième église et peut-être la quatrième qui s’élevait en huit cents ans sur l’emplacement de l’antique métropole de Saint-Nicaise. La première pierre fut posée le 6 mai 1211, jour anniversaire de la catastrophe. La jeune cathédrale est donc contemporaine du grand mouvement qui, à Bouvines, aboutit à la première de nos victoires nationales. Dans l’ordre des temps, elle vient après Saint-Denis, la doyenne de toutes nos cathédrales, après Noyon, après Senlis, après Mantes, Laon, Paris, qui sont toutes ses aînées et où l’art, en quelque sorte, achève son apprentissage. Elle se présente sur le même plan que ses sœurs de Chartres et d’Amiens, qui forment la deuxième génération gothique, l’époque de la maturité et de l’épanouissement. Et c’est ce qui lui donne son caractère d’harmonie.

À cette date, en effet, l’art gothique, en possession de toutes ses ressources, ne tend plus qu’à la perfection. C’est le moment où l’architecte, maître de son langage, commence à dégager la notion de l’art. Il ne se contente plus de la solidité, ni d’avoir trouvé une solution décisive au problème de la voûte : il lui faut maintenant quelque chose de plus, il lui faut la beauté. Moment exquis, où reparait une idée qui s’était effacée depuis les jours de l’ancienne Grèce, où l’on découvre, où l’on conçoit la valeur de la forme. Il n’y a guère dans l’histoire du monde plus de trois ou quatre moments pareils, plus de trois ou quatre pays où cette pensée soit éclose dans des cerveaux humains : l’Attique du Ve siècle, la Florence du quattro-cento, et enfin ce petit espace, ce coin de terre privilégié du domaine royal, qui porte par excellence le nom de l’Ile-de-France. C’est aux confins de cette province et des provinces voisines que s’élèvent les tours de Chartres, de Reims et d’Amiens, et c’est dans ce triangle qu’est comprise toute la grâce du siècle de saint Louis.