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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/123

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conspirent à donner à l’ensemble de l’ouvrage plus de jet et de ressort. La passion du XIIIe siècle, le défi à la pesanteur, la volupté de l’espace conquis, de la victoire sur la matière, qui devait emporter bientôt les architectes à des gageures de plus en plus folles, aux audaces d’Amiens, aux ivresses de Beauvais, commence à se faire jour chez le maître de Reims ; mais elle conserve encore une mesure exquise. Elle s’exprime surtout par des nuances, par de fines retouches, par des recherches de modules. L’artiste ne tente pas de surpasser son modèle par plus de hauteur effective ; il se contente d’obtenir l’impression de la hauteur, et il la demande au calcul le plus délicat des proportions. Le subtil génie de la Champagne fait merveille dans cet ordre de recherches intellectuelles. On ne soupçonne pas de quels raffinements est capable l’esprit de ces vieux maîtres, dont le nom est à peine connu de quelques archéologues, et qui mériteraient d’être au nombre des plus pures gloires françaises. Naguère, un architecte, M. Goodyear, a découvert que l’écartement des piliers est légèrement plus accentué à la naissance des voûtes qu’à la hauteur des chapiteaux ; à partir du premier étage, le dessin du vaisseau s’évase et les lignes s’écartent faiblement de l’aplomb ; le retrait à son point extrême atteint jusqu’à 0 m. 25. L’architecte savait que deux lignes parallèles tendent à faire aux regards l’effet de se rejoindre ; il corrige cette illusion d’optique par une déviation correspondante. Artifice heureux, dont personne au monde ne s’était avisé depuis les architectes de l’Attique, au temps de Périclès. C’est ainsi qu’Ictinos, pour redresser l’erreur qui fait qu’une longue ligne horizontale semble s’affaisser en son milieu, imprime à l’entablement du Parthénon une légère convexité. Seules la Grèce de l’âge d’or et la France du XIIIe siècle ont connu ces savantes délicatesses du goût, sans lesquelles on peut dire qu’il n’est point d’« art. »

La même finesse de génie inspire chaque trait de ce morceau incomparable. Il n’y a pas un détail, pas une partie de l’architecture qui ne soit représentative de ce travail heureux, accompli sur la forme. Il suffira de deux exemples. Une des plus grandes beautés de Reims, ce sont les fenêtres. Le jour entre à flots et inonde tout l’édifice. Jamais encore l’architecture n’avait à ce degré collaboré avec la lumière. Les murailles disparaissent ; les pleins, qui à Chartres l’emportent de beaucoup