Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les vides, s’évanouissent comme inutiles ; le maître de Chartres construit encore en accumulant des vigueurs et des ombres, celui de Reims n’admet plus d’autre élément que la lumière. Il n’a sur sa palette que des principes de clarté. Son génie réussit à éliminer tout ce qui, dans la pierre, est opacité, masse, remplissage, lourdeur, à construire uniquement avec des arcs et des supports. C’est de lui que date cette architecture inouïe qui finit dans la Sainte-Chapelle en pure joaillerie de verre. Mais d’où vient que la fenêtre de Reims est non seulement beaucoup plus vaste comme ouverture, mais tellement plus élégante que son modèle de Chartres ? C’est qu’à Chartres les fenestrages, — c’est-à-dire l’armature de pierres qui divise la fenêtre, — sont formés d’assises assemblées par des joints. Le maître de Reims imagine de remplacer cette maçonnerie par une colonnette, qui met dans le dessin plus de nerf et de style ; il a inventé le meneau, qui devait faire si grande fortune. On me pardonnera d’insister sur ces questions techniques ; elles sont à l’architecture ce que la prosodie est à la poésie.

Veut-on encore un autre exemple ? S’il est un organe gothique dont il semble presque impossible de déguiser le caractère utilitaire, c’est le contrefort. Cet état indispensable est un peu l’écueil du système. Ruskin compare ingénieusement l’extérieur d’une cathédrale à l’envers d’une tapisserie : on ne voit qu’un enchevêtrement de fils, dont le sens n’apparaît que lorsqu’on se place à l’intérieur. Hormis les portails et les façades, cette architecture n’est pas faite pour le spectateur du dehors ; le dégagement des cathédrales est un des contresens des amateurs modernes. Le gothique relègue à l’extérieur la charpente de pierre sans laquelle le vaisseau ne se soutiendrait pas, comme les cales dans une darse supportent la coque d’un navire. Il est aussi impossible à l’architecte gothique de se passer du contrefort qu’il lui est difficile d’en faire un élément de grâce. C’est un serviteur nécessaire, mais il faut avouer qu’il concourt peu à l’ornement. Ici le maître de Reims fait éclater son art : quel parti n’a-t-il pas tiré de ce membre prosaïque ! Il a réussi à en faire une des parures de son œuvre. Le contrefort, d’abord nu, s’ouvrage à mi-hauteur d’un filigrane d’arcatures, pour se changer enfin en un élégant tabernacle, où s’abrite le vol d’un ange et que surmonte la (lèche du plus