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la recherche la plus rare du style, la façade de Bernard de Soissons déploie une inspiration nouvelle, un souffle plus grandiose, l’ardent enthousiasme du beau. Ce maître eut l’imagination la plus impétueuse, le plus vaste tempérament de décorateur que le monde de l’architecture ait connu. Nul homme n’a imprimé à une surface de pierre une vie plus radieuse, ni su à son exemple se servir de la matière comme d’un orchestre, où ne manque aucune des cordes de la lyre. Aucun rêve d’artiste n’a jamais inventé pour les fêtes d’un peuple un plus royal décor.

Cette façade est d’abord un éblouissement. Rien ne se prête moins à l’analyse que cette immense gloire. Pour la première fois toutes les formes, les tours, la rose, les portails s’élancent d’un seul jet, forment un seul bloc rayonnant, un miraculeux bas-relief ; l’œil ne perçoit au premier regard dans le flamboiement des formes que ce prodigieux essor. Le regard bondit par-dessus les dais ouvragés des portails, tournoie dans le soleil de la rose, le quitte pour rebondir encore. Il parcourt ce grand visage de pierre sans pouvoir s’arrêter à aucun trait particulier. Il est contraint de suivre l’irrésistible transport qui fait jaillir jusqu’aux nues l’immense échafaudage. Nulle part la grande loi gothique, le mouvement en hauteur, ne s’était affirmée avec autant d’autorité. Jusqu’alors la ligne dominante dans les constructions les plus hautes reste la ligne horizon-talc, la ligne de la sérénité. A Reims elle disparait, n’est plus marquée qu’à peine ; elle flotte comme un reste de la terre, à l’état de souvenir. Tout ce qui compte, les traits de force, sont des lignes qui montent, des arcs, des flèches, des gables, des clochetons, des pyramides : toutes les idées s’élèvent et deviennent lyriques, changent de forme et de trajet, prennent le sens d’un hosanna.

C’est au maître d’Amiens qu’est venue la pensée de donner une magnificence inédite aux portes de l’église. Ces portes, jusqu’alors séparées, simplement ouvertes dans le mur à l’entrée des nefs, l’architecte inventa de leur prêter une grande saillie, de les projeter en avant, de leur donner la valeur d’une sorte de portique. La porte devient le portail. A Amiens enfin, les trois portes sont réunies entre elles par une frise continue et forment sur le parvis un véritable arc de triomphe. C’est ce thème superbe qui fut repris à Reims, avec un caractère plus