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charmant pinacle. Ce pinacle lui-même a son rôle, et ajoute à la construction un élément de solidité. Rarement l’art a-t-il mieux su convertir en beauté une donnée d’apparence plus ingrate. L’hôte céleste de chaque contrefort vient animer cette composition exquise d’une vie personnelle. Mieux encore : la suite de ces tabernacles fait régner autour de l’église une frise mélodieuse, sorte d’enveloppe aérienne qui participe à la fois de l’architecture et de l’hymne. Quel musicien de la pierre a jamais conçu un poème comparable au chevet de cette cathédrale sur lequel flotte avec une palpitation d’ailes le doux frémissement de la troupe angélique ?

Toute cette partie de l’édifice était déjà achevée vers le milieu du siècle, lorsque Villard de Honnecourt, faisant route vers la Hongrie, fit à Reims les précieux croquis que nous conserve son album. Déjà l’œuvre de Jean d’Orbais passait pour merveilleuse, lorsque survint à Reims un maître d’un plus brillant génie. Des successeurs de Jean d’Orbais, lequel faut-il nommer ici ? En tout cas, on peut dire avec assurance que ce maître, quel qu’il soit, avait fait son éducation sur le chantier d’Amiens. Rien n’est plus admirable, dans l’histoire des arts, que cette espèce de concours ouvert à cette époque entre les différentes villes, les artistes, les écoles. Il ne se fait nulle part une trouvaille, qui ne soit aussitôt utilisée ailleurs. C’est à qui surpassera l’autre dans une rivalité féconde. En vain chercherait-on à isoler nos cathédrales ; elles se donnent la main, elles sont inséparables. Reims perfectionne Chartres, Amiens lutte avec Reims, Beauvais avec Amiens. Jean d’Orbais avait certainement dessiné une façade où il n’avait pu manquer d’imiter le plus beau modèle que l’on connût alors, celui de Notre-Dame de Paris. Ce modèle parut cependant un peu pauvre au maître d’Amiens ; celui-ci composa pour son œuvre une façade infiniment plus riche, et qui serait encore le dernier mot de l’art, si la terminaison en était digne du reste, et s’il n’existait pas la grande façade de Reims.

Cette page sublime est en vérité un des titres les plus magnifiques de la France. Quand elle subsisterait seule de tout notre art du moyen âge, elle suffirait pour en attester la grandeur ; elle compterait au nombre des créations souveraines, comme un des monuments immortels de l’esprit humain. Si l’œuvre de Jean d’Orbais nous montre l’élégance consommée,