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père, le drapier d’Assise, avait voulu lui donner le nom ?

M. Emile Mâle, dans son livre classique sur l’Art religieux à la fin du moyen âge, a écrit des pages inoubliables sur ce qu’il a appelé I’ « avènement du pathétique. » Il a montré les caractères de cet art spécial, étrange, sanglotant, convulsif, de cette passion de la douleur, de ce christianisme de flagellants qui devait remplir, en effet, tout le XVe siècle, développé par les malheurs de la grande peste et de la guerre de Cent Ans. Ce fut alors, surtout dans les pays du Nord, la belle époque de la religion des misérables, le temps où se manifeste avec toute sa licence souffrante, sentimentale, populaire, le christianisme franciscain. Mais n’en voyons-nous pas l’aurore dans cette façade de Reims, où pour la première fois l’élément féminin triomphe avec la Vierge du portail, et apporte dans l’ordre ancien du christianisme le trouble d’un frisson nouveau ? Et ne pouvons-nous pas déjà y pressentir cet avenir où le sentiment du beau et de la grâce humaine sera sacrifié, après le goût des idées, au goût dominant, impétueux, du pathétique et de l’émotion ?


III

Mais ces deux grands courants que nous venons de reconnaître dans la façade de Reims n’épuisent pas tout ce que l’analyse y démêle. Un moment d’attention y découvre bientôt des richesses nouvelles : non plus seulement des principes, des idées générales, mais des nuances, des tempéraments, des personnes, des visions d’artistes. L’œuvre d’art devient ici diversement charmante, comme le reflet précieux d’une âme originale, de sa manière spéciale d’envisager la vie. Passons encore une fois rapidement cette revue ; ouvrons les beaux recueils de M. Moreau-Nélaton, de M. Paul Vitry. Nous n’y admirerons pas seulement des chefs-d’œuvre, nous y apprendrons à connaître des esprits. Nous y verrons, avec une précision nouvelle, se poser le curieux problème d’histoire morale, qui a été esquissé dans les pages précédentes.

Où est le temps où les Allemands, princes de la Science, nous avaient pénétrés, pour l’histoire de l’art au moyen âge, du mysticisme confus de leur romantisme germanique ? On n’admirait à cette époque que ce qu’on appelait les