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Quand un journal, il y a deux ans, pour son numéro de Noël, publia sur sa couverture une photographie parfaite de cette tête touchante, ce fut dans le public une surprise, comme si l’on venait de découvrir une autre Tête de cire, ou mieux encore, une sœur française de quelque déesse grecque : tant il y avait d’harmonieuse et poétique beauté sur les traits souverains de cette jeune immortelle.

Statues énigmatiques ! Elles semblent si dépaysées au milieu de leurs compagnes, qu’on a hésité quelquefois à les tenir pour contemporaines. On a voulu y voir un pastiche tardif exécuté par quelque restaurateur académique du siècle de Houdon. Mais cette conjecture est contredite par les faits : les deux statues de Reims ont été imitées à Bamberg, à la fin du XIIIe siècle, et la Vierge porte d’ailleurs le collier qui ornait alors le cou des jeunes filles ; pour dater la statue, il suffit de ce bijou.

Il n’en reste pas moins autour de ces statues une sorte de mystère. Pour les expliquer, la critique entre dans le domaine du rêve : elle pense à notre Orient latin, à ces comtes de Champagne qui fondaient, au temps de saint Louis, un royaume de Morée, se nommaient ducs d’Athènes et construisaient sur l’Acropole, auprès du Parthénon devenu leur paroisse, cette tour féodale qui s’appelait la tour des Francs. Un reflet de l’art de Phidias apparaîtrait ainsi à Reims au moment où nos armes dessinaient dans la Grèce cette belle aventure française.

Faut-il aller si loin ? La connaissance de l’art antique n’est pas un phénomène étranger au moyen âge. Cette connaissance, dont on veut faire une découverte de l’humanisme, date en réalité de beaucoup plus tôt : c’est une tradition presque ininterrompue depuis la Renaissance carolingienne des arts. Les motifs d’inspiration classique abondent dans l’art roman. Le fait capital du XIIe siècle, l’invention de la sculpture, ou plutôt de la figure humaine traitée comme le sujet plastique par excellence, ne se serait peut-être jamais produit sans le secours et la lumière des modèles antiques[1].

Le XIIIe siècle est rempli de cet esprit antique : les fameux bustes de Capoue, l’arc de triomphe de Frédéric II témoignent d’une « renaissance » qui éclate enfin avec une force singulière

  1. Voir l’étude de M. Louis Bréhier, L’invention de la sculpture romane, dans la Revue du 15 août 1912.