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convenu, si la guerre était un malheur qu’un ne pouvait éviter, de maintenir quelque chose en dehors de la guerre ; il y avait un terrain de mutuel respect où les deux partis s’accordaient. Les dieux, les temples, la science, tout ce qui fait le prix supérieur de la vie, étaient tenus religieusement à l’écart des champs de bataille. Rome s’est rendue grande à jamais par sa piété envers la Grèce. « Honore, écrivait Pline le jeune au proconsul d’Achaïe, honore les dieux de ce pays et jusqu’au nom de ces dieux ; respecte leurs fables même. » Par cette conduite admirable, Rome s’était montrée digne de l’empire du monde : elle avait légué à l’univers la notion même de l’humanité. C’est l’Allemagne, au contraire, et l’Allemagne des philosophes, celle de Fichte et de Hegel, qui a inventé ce monstre de la guerre totale, de la guerre sans mesure, atroce, s’étendant jusqu’aux morts, s’en prenant même aux dieux et aux choses immortelles : de cette guerre féroce, à qui il ne suffit pas de faire mourir des millions d’hommes, mais où doit disparaître une des formes du génie humain. C’est là l’attentat, le crime contre l’esprit, et pour lequel il n’y aura pas de pardon. Le jour où le premier obus tomba sur la sainte Cathédrale, où l’on apprit que Reims s’écroulait dans les flammes, il y eut dans le monde un cri d’horreur. L’Allemagne brûlait le pacte qui l’unissait au reste de la famille universelle. Cet incendie jetait une lueur sur le côté infernal de la nature humaine et sur cette loi fatale qui fait les réprouvés.

Et maintenant que l’Allemagne s’éloigne, que l’invasion reflue en désordre vers son repaire, le sublime chef-d’œuvre devient la figure de la France meurtrie et victorieuse. Notre-Dame de Reims blessée nous est plus chère par toutes ses blessures. Mais elle nous ordonne d’aller comme elle-même jusqu’au bout de l’héroïsme. En vain l’ennemi incendiaire et dévastateur implore la paix : ses forfaits la lui refusent. Il sera poursuivi à travers les siècles par l’ombre des tours vengeresses. Il sera le peuple qui a osé brûler Reims.


LOUIS GILLET.