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paupières baissées, dans le portrait de l’Ambrosienne ? L’insolente fortune du More pouvait ne pas durer toujours… Un à un, les princes d’Italie se mettaient en garde contre son ambition sournoise. Le roi de France l’avait quitté, plus défiant encore. Le peuple, écrasé d’impôts, murmurait. Quand passait dans les rues le petit Francesco, on criait : Duchetto ! Si l’usurpateur venait jamais à être chassé par l’Etranger, ou par le peuple, quel autre que l’enfant d’Isabelle pourrait le remplacer ? Dans les longues journées de claustration qui suivirent son deuil, lorsqu’elle voyait, des fenêtres de la Corte reale, la brillante suite de Béatrice d’Este traverser les jardins du Castello, pour une de ces randonnées, où, jadis, toutes les deux rivalisaient d’adresse, ou bien encore quand les trompettes annonçaient l’arrivée d’un nouvel hôte, peut-être la jeune veuve guettait-elle avec impatience le pas lointain du Malheur…

Le malheur approchait, en effet, sous ses deux formes coutumières : la mort et la trahison. Un jour, une nouvelle terrible éclatait, après une série de divertissements à Vigevano. Le Duc d’Orléans envahissait le duché, il avait pris Novare ; il était à vingt kilomètres de Milan. La populace commençait à remuer dans les rues et lapidait les amis du More. L’alerte passée, on tremblait pour le sort de l’armée ducale, à Fornoue. L’astre de Béatrice d’Este, elle-même, la grande rivale, baissait. Le palais était plein d’intrigues : on chuchotait, aux portes, les infidélités de son mari. La Lucrezia Crivelli, — la Belle Ferronnière du Louvre, — commençait de régner sur le cœur du duc. La mort de sa fille naturelle, la petite Bianca, survenant dans ces jours d’inquiétude et de défiance, paraissait un pire présage. La fortune des Sforza changeait de face : un à un, s’effaçaient ses sourires. Puis, c’était la mort subite de Béatrice, frappant le peuple tout entier comme un coup de foudre, laissant le More atterré.

Même dans cette douleur commune, qui aurait dû les rapprocher, l’humeur ombrageuse du maître achevait de lui aliéner le cœur de sa nièce. N’osait-il pas lui signifier de quitter le Castello et de se retirer dans le vieux palais Sforza, près du Dôme. C’était de peu de conséquence pour elle, mais en même temps il retenait le duchetto avec lui à la Rocchetta, ce qui était une cruauté inexplicable, ne lui permettant d’aller voir sa mère qu’une fois par semaine. « Vous avez ôté à mon fils sa