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couronne, ne put-elle s’empêcher de lui crier, alors, maintenant vous voulez lui ôter sa mère ! » Enfin, le Duc d’Orléans devenu roi de France, Louis XII, reprenait la route de Milan et, devant les Français, une fois de plus les troupes ducales s’évanouissaient. C’était la chute, cette fois, de l’usurpateur. Le peuple, soulevé contre lui, fermait les boutiques, dressait des barricades et assommait les partisans du More venus pour parlementer avec lui, notamment Landriano, l’astucieux compère qui avait fait élire son maître par acclamation.

C’était vraiment l’écroulement du colosse aux pieds d’argile. Si nul n’avait trahi les autres autant que Ludovic le More, nul ne fut autant trahi. Mais il avait trahi avec élégance, courtoisie, lenteur, par degrés, opérant ce qu’on eût appelé, dans les temps modernes, des « évolutions. » Il fut trahi brutalement, livré par ceux même auxquels il avait fait du bien. Quelques jours suffirent à l’ami qui lui avait juré de défendre le Castello jusqu’à la mort, au milieu des larmes et des embrassades, pour le livrer au roi de France, moyennant une part dans le pillage. Les Français, qui en profitèrent, en furent à ce point surpris et indignés, qu’ils ne pardonnèrent jamais au coupable. De même, le Suisse félon, le capitaine Turmann qui le livra à l’ennemi, fut exécuté par ses propres compatriotes, honteux qu’il se fut trouve un traître en Helvét. Mais Milan, et l’on peut dire presque toute l’Italie, étaient tout à la joie de voir commencer un nouveau règne. Lorsque Louis XII y fit son entrée triomphale, précédé par cinq cents archers, au son des tambours et des trompettes, sous un dais bordé d’hermine, que portaient les docteurs de l’Université en robes rouges, il n’y eut plus, dans la foule criante et applaudissante qui encombrait les rues, un seul partisan des Sforza…

Parmi tous les yeux qui se fixaient sur le roi de France, en cette journée d’automne 1499, aucun n’était plus brillant d’espoir que les yeux, maintenant grands ouverts, — comme dans le coin du portrait, — après avoir été tenus si longtemps baissés, d’Isabelle d’Aragon. Elle avait quitté le deuil ; elle reparaissait dans ses plus beaux atours. On reconnaissait l’élégante et fière princesse d’Aragon, qui arborait jadis, au mariage de Bianca Sforza, du satin cramoisi avec des cordons d’or filé, aux chasses de Vigevano, du velours incarnat brodé de fleurs du pêcher et les aigrettes de gaze, et aux relevailles, après la