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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/300

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sur un amas de neige fraîche et blanche… Front poly, lequel, en sa circonférence jolye, tesmoigne que c’est la demeure de pureté solide et ferme. Puis il descendra aux sourcilx de fin hébène applaniz et tranquilles, soulz lesquels verra luyre deux beaux yeux noirs et amples muniz de gravité honneste, accompagnée de doulœur naturelle ; estincellans, comme deux estoilles en leur cours. Deux joues rondes et délicates de la blancheur desquelles ne daignera faire comparaison avec celle du laid, sinon en tant que parfois elles contendent avec la fraischeur vermeille des roses espanys du matin… La bouchette contenant bien petit espace, bordée de deux rubis d’autant beau lustre qu’il est possible de souhaiter et qui ont force d’allumer en tout homme, pour froid et mortifié qu’il soit, grand désir de les baiser…


La seconde chose qui caractérise ce portrait, ce sont les bijoux. Ils sont tellement nombreux et si serrés ; ils suivent de si près la forme humaine que tout le reste, figure et buste, dessin et couleur, vînt-il à disparaître, ils suffiraient pour qu’on puisse, avec certitude, en rétablir exactement les contours généraux.

On éprouve, en les voyant, quelle place tenaient alors dans la vie les pierres précieuses : rubis, rubis balais, émeraudes, diamants « tavola, » c’est-à-dire plats ou taillés en pointe, gemmes de toutes sortes et de toutes couleurs. Pour nous, ce sont de simples accents décoratifs, souvent sacrifiés aux émaux dans la joaillerie moderne et facilement imités. Pour eux, c’était bien autre chose. Outre que les thérapeutes et des mages y voyaient des gardiens contre le poison, contre la fièvre, contre l’infidélité ou la frénésie, ou le haut mal, les princes les entassaient comme des trésors de guerre. Il y avait toute une armée de Suisses dans la coiffure d’une duchesse. On leur donnait des noms comme aux étoiles. Tout le monde savait, à un ducat près, leur valeur. On se les prêtait d’une Cour à l’autre, pour une nuit. Dans une fête, tous les yeux étaient fixés sur eux. On suivait, avec curiosité, leur apparition ou leur disparition d’une toilette, car il n’était pas rare qu’on les mit en gage et, ainsi, on évaluait le haut ou le bas des fortunes. Disposées en longues lignes sur les robes et en notes de musique, ils chuchotaient des airs symboliques. Groupés en constellations nouvelles, ils annonçaient de nouvelles alliances entre les peuples et les rois et, pendant que les astrologues demandaient l’avenir aux astres, les diplomates tiraient des horoscopes, de plus près et avec plus d’assurance,