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celui de ma duchesse, que je n’abandonnerai ni dans la vie, ni dans la mort. Une seule chose manquait à notre plaisir et c’était votre aimable compagnie, belle madonna marquise.


A quoi ressemblait physiquement ce miroir de courtoisie ? On a cru, un temps, le savoir. Ce fut même l’occasion d’une singulière aventure archéologique. Les archéologues ont des divertissements que la foule ignore. Ils font des mariages entre les portraits confiés à leurs soins, dès qu’ils voient ce que nos pères appelaient des « figures à contrat. » Ils se sont demandé où était le mari de Bianca, et il leur avait paru que, dans cette même salle de l’Ambrosienne, la salle E, il y avait un jeune homme aux beaux yeux léonardesques, à la forte mâchoire rasée, coiffé d’une barrette ronde et rouge, en cupule de gland, qui serait un parti très sortable. Ils avaient donc décidé que c’était Galeazzo de San Severino. Mais un jour, par malheur pour un si beau projet, on s’avisa de le laver… Cette opération, d’ailleurs inusitée et hasardeuse, apprit à tout le monde une chose qu’on n’avait jamais soupçonnée : c’est que ce jeune homme avait une main, que cette main tenait un papier et que sur ce papier étaient tracées des notes de musique. Le chef d’armée, retombait maître de chapelle. On croit que c’est un certain Franchino Gaffurio. Avoir pris le masque d’un musicien pour celui d’un condottiere ne doit pas nous scandaliser, ni même nous surprendre. On voit fort bien les archéologues de l’avenir prenant un portrait de Reyer pour celui du général de Galliffet. Pourtant, le coup fut rude. De tant de hauts faits d’armes et de gestes héroïques attribués au bon jeune homme à la barrette rouge, il ne lui resta rien que sa portée de musique. Et la belle Bianca, elle-même, lui fut ravie…

Nous devons donc renoncer à connaître ses traits. Pour son histoire, elle est écrite en lettres fleuries et en arabesques d’or, comme en de Très Riches Heures, en marge des grandes chroniques de France et d’Italie. Car la faveur des plus grands princes l’accompagna de la naissance à la mort. Celle de Ludovic le More fut extrême et fit de lui, au moins pour les honneurs, à peu près l’égal d’un duc de Milan. Il avait au Castello presque une cour à lui, avec un personnel complet de service, et même une écurie avec ses propres chevaux. « Il me semble, écrivait l’ambassadeur de Ferrare, que messer Galeazzo