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pacifistes la nécessité d’aller jusqu’au bout. Pareille inconséquence diminue l’admiration qu’on serait tenté d’accorder aux organisateurs de l’esprit public en Allemagne : la prodigieuse inintelligence du peuple leur a rendu la tâche par trop facile.

C’est à Verdun que l’Allemagne éprouve la première de ses grandes déceptions. Nous avons vu quelle singulière idée on lui a inculquée de la France et des Français. Elle a d’abord été stupéfaite de voir une nation dont la dégénérescence ne faisait doute pour personne, montrer tant de ténacité, tant d’abnégation ; mais on lui a dit que c’étaient là les derniers sursauts d’un agonisant. Des neutres « bien informés » qui revenaient de France, rapportaient que ce malheureux pays, las et découragé, traversait une crise politique, d’où il ne sortirait que prêt à capituler : le président Poincaré allait démissionner ; tout le monde attendait la venue de M. Caillaux ; les relations de la France avec l’Angleterre étaient plus épineuses que jamais ; les deux alliées se querellaient au sujet de Salonique ; les jours de M. Aristide Briand étaient comptés… Voilà ce que l’Allemagne pense de son adversaire quand ses armées se mettent en mouvement pour écraser l’armée française, prendre Verdun, marcher sur Paris et conquérir la paix.

Aux premiers succès, grande clameur de joie. La presse, qui a reçu la consigne d’être prudente, déclare que « c’est peut-être une action locale, » que les communiqués ennemis parlent bien d’une « bataille, » mais que les Français ont l’habitude de supposer à leurs adversaires des objectifs démesurés. Cependant, le lendemain, il n’est plus question que de la « victoire de Verdun : » c’est un succès « autrement important qu’une simple rectification de lignes ; » les batailles du commencement de la guerre étaient destinées à refouler l’ennemi ; maintenant, tout est changé ; ce que n’ont pu obtenir alors des batailles gigantesques, « un léger choc pourrait l’entraîner, dans l’état de tension nerveuse où se trouve l’armée après un an et demi de guerre. » (Chemnitzer Volkstimme, 25 février.) Lors de la prise de Douaumont, les communiqués officiels et les correspondances du Grand Quartier surexcitent encore l’enthousiasme général. « Notre armée et ses chefs vivent des heures de gloire. Leur œuvre est sanglante et terrible, mais nous avons la certitude qu’en ces heures formidables la cause allemande et celle des alliés font des progrès décisifs. » (Frankfurter Zeitung,