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étroite surveillance, il est autorisé à se rendre dans deux ou trois grandes villes où il ne voit que ce qu’on veut lui laisser regarder, où il n’entend que ce qu’on veut lui laisser entendre. De retour chez lui, il se sait sous l’œil de la police que le gouvernement allemand entretient dans chaque état neutre. S’il s’avise de tenir d’autres propos que ceux qui lui furent suggérés, il paiera son indiscrétion : on lui refusera un nouveau passeport. De tels témoins ne sont pas toujours dignes de créance. Les relations des Américains qui demeurèrent en Allemagne jusqu’à la rupture méritent plus d’attention. Les Mémoires de l’ambassadeur Gérard présentent un grand intérêt. Il y a de très pénétrantes observations dans les notes de M. C. W. Ackermann, correspondant de l’United Press à Berlin.

Les dires des prisonniers et des déserteurs sont trop souvent suspects. Ils offrent une utilité réelle au point de vue militaire, quand ils portent sur des faits précis, faciles à contrôler : mouvements de troupes, emplacements de batteries, préparatifs d’attaques, etc… Seulement la plupart des prisonniers et des déserteurs ont coutume de faire les réponses qu’ils jugent devoir plaire à qui les interroge. D’ailleurs, ils ignorent presque toujours les véritables sentiments de leurs compatriotes de l’arrière ; ils ne savent rien que par des journaux rédigés à leur intention ; le plus souvent, leurs souvenirs de permissionnaires remontent à plusieurs mois…

Sur les prisonniers des lettres sont saisies, venues de l’intérieur, lettres de parents, d’amis, de fiancées ou de marraines. En France, comme en Allemagne, on a publié beaucoup de ces correspondances, et l’on a voulu y voir des témoignages irrécusables. Ils ont leur valeur, quand, dans une longue série de lettres, se répètent les mêmes paroles de découragement ou de confiance. N’oublions pas cependant que les expéditeurs savent que leur correspondance sera rigoureusement censurée, ce qui rend les lettres pessimistes plus significatives, mais enlève de l’intérêt aux lettres optimistes. Puis, si la plupart de ces lettres contiennent des lamentations sur les déboires de l’agriculture et la durée de la guerre, rappelons-nous, avant d’en tirer des conclusions morales ou économiques, que les paysans sont partout accoutumés à se plaindre de la récolte et que, dans tous les pays en guerre, il n’est pas une mère, pas une fiancée qui ne souhaite la fin des hostilités.