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Enfin l’Allemagne inonde le monde de journaux, de livres et de brochures, car elle n’a jamais renoncé à intimider ses ennemis et à tromper les neutres. Au premier abord, cette presse, la moins libre qui fut jamais, semble impropre à nous donner une idée de l’opinion publique. Si l’on prétend trouver dans un journal allemand l’expression des idées ou des sentiments de la nation, l’on s’expose à de fâcheuses déconvenues ; mais ce que la presse ne saurait nous apprendre directement, elle nous le révèle indirectement de la façon la plus claire et la plus sûre.

Pour nous mieux faire entendre, examinons dans quelles conditions fonctionne la presse allemande depuis le mois d’août 1914.


Dans l’Ennemi du peuple, d’Ibsen, le candide Stockmann s’écrie : « Je me permets de supposer que ce sont les rédacteurs qui dirigent la presse ! » A quoi l’imprimeur Alaksen répond judicieusement : « Non ! ce sont les abonnés, monsieur le docteur. » En Allemagne, ce ne sont ni les rédacteurs ni les abonnés qui dirigent la presse, ce sont les généraux.

Depuis le jour où, au son des tambours, l’état de guerre fut proclamé dans tout l’Empire, le pouvoir suprême est passé de l’autorité civile à l’autorité militaire. Les fonctionnaires restaient à leurs postes, mais devaient obéissance aux généraux commandants les régions militaires de l’intérieur. Ceux-ci devenaient les maîtres de l’administration. Tout désormais relevait de leur bon plaisir : la police, le ravitaillement des civils, les marchés, l’éclairage des maisons, la rédaction des enseignes et jusqu’à la toilette des femmes. Naturellement la presse tombait sous leur contrôle. De la première à la dernière ligne, qu’il s’agit des nouvelles militaires, des articles politiques, de la chronique des modes ou des théâtres, de la critique des livres, des annonces de décès, chaque journal fut soumis à leur censure.

En principe, il n’existe pas de censure politique. Le journaliste a le droit de tout écrire sur les affaires intérieures de l’Allemagne, à condition de respecter le « burgfrieden, » ce qu’on a appelé chez nous « l’union sacrée. » Mais cette simple réserve permet à l’autorité d’arrêter immédiatement toute discussion qui lui déplaît. Quant à la politique étrangère, il fut,