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pendant plus de deux ans, interdit aux journaux de parler des « buts de guerre » de l’Allemagne. Lorsqu’il leur fut théoriquement permis d’aborder ce sujet, ils n’en furent pas plus libres.

C’est le régime de l’arbitraire. Tout journal qui se permet de contrevenir aux ordres supérieurs ou ne suit pas avec assez de docilité les « directives » de l’autorité, est soumis à la censure préalable, ou suspendu ou interdit. La revue Le Forum a dû disparaître ; la Zukunft a subi des éclipses de plusieurs mois ; l’unique organe de la minorité socialiste, la Leipziger Volkszeitung, a été longtemps supprimé.

Ce n’est pas tout. On ne se contente pas de surveiller et de censurer la presse. Les dirigeants de l’Allemagne qui, en toute occasion, montrèrent une prodigieuse inintelligence des nations étrangères, connaissent à fond l’âme de leur peuple. Ils ont donc réalisé chez eux une remarquable organisation de l’esprit public. Ils ont commencé par domestiquer les rédacteurs ordinaires des journaux ; c’était facile, car il n’y a rien de plus médiocre, de plus vénal et de plus décrié que le journalisme allemand. Les quelques récalcitrants furent expédiés au front. Puis des officines furent installées où l’on cuisine des informations et des articles que, bon gré mal gré, tous les journaux doivent insérer. Les trois quarts d’un journal allemand, — quelle que soit sa nuance politique, — sont remplis de communications gouvernementales : notes de l’agence Wolff, communiqués et récits militaires émanant du Grand Quartier, analyse de la presse neutre ou ennemie, articles officieux de la Norddeutsche Allgemeine Zeitung. Mais en outre les journaux, — surtout ceux de province, — publient chaque jour de véritables articles qui leur sont adressés tout faits sur les questions militaires, politiques, financières, économiques.

En avril 1915, le ministre de l’Intérieur de Prusse von Lœbell adressait à ses préfets et à ses fonctionnaires cette circulaire confidentielle : « Les tâches grandes et variées qui s’imposeront à notre politique intérieure dès après la guerre exigent des autorités que celles-ci mettent un soin particulier à cultiver leurs relations avec la presse, qu’elles apportent toujours plus d’attention à surveiller les courants et les mouvements d’opinion qui se manifestent dans les journaux et qu’au prix d’un effort intensif, elles cherchent tous les moyens d’acquérir de l’influence sur l’attitude de la presse. Cela vise surtout la presse locale