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Guillaume Ier avait passé l’éponge sur l’incident Skobeleff[1] :

« Chacune de vos paroles a trouvé un vif écho dans mon cœur reconnaissant, et je supplie le Tout-Puissant de bénir votre gouvernement pour le salut de vos peuples et pour la consolidation de la paix en Europe. »

Ainsi plus on observe, au début du règne, l’attitude de l’Empereur et plus on voit se former en lui la volonté de tenir la balance égale entre la France et l’Allemagne, et de ne pas sortir de l’étroit chemin que s’est tracé, à égale distance des deux pays, son esprit aussi tenace qu’ennemi de l’action, désireux avant tout de conjurer la guerre. C’est à croire qu’il songe déjà à devenir l’arbitre pacifique de l’Europe et qu’il se prépare à ce rôle en pratiquant une politique de bascule et de contrepoids de laquelle on dira plus tard : « Elle est une garantie du maintien de la paix et suffit pour empêcher la France d’éprouver trop d’inquiétude lorsque, dans ce jeu intermittent, c’est l’Allemagne qui remonte. »

En adoptant cette politique, en ambitionnant d’être en Europe le gardien de la paix entre les nations et l’âme de la résistance aux entreprises révolutionnaires. Alexandre III s’inspirait des souvenirs de son aïeul Nicolas Ier, pour lequel il professait une ardente admiration. Mais, tandis que celui-ci se faisait aider dans sa tâche par le comte de Nesselrode, l’ancien chancelier d’Alexandre Ier qu’il avait maintenu dans ses fonctions en lui conservant son litre, et tandis qu’Alexandre II avait appelé le prince Gortchakof à remplir auprès de lui le même rôle, Alexandre III avait résolu de ne pas faire place dans son entourage à une personnalité aussi importante que ces deux serviteurs, dont l’un, Nesselrode, était mort, et dont l’autre, Gortchakof, était condamné à la retraite par l’âge et par l’état de sa santé.

Déjà, dans les derniers mois du règne d’Alexandre II, on s’attendait à voir le chancelier offrir spontanément sa démission. Mais il n’y semblait pas disposé. Après avoir pris pendant trente ans la plus active part à la direction de la politique internationale russe, sous l’autorité d’un souverain dont il possédait la confiance et qui lui laissait volontiers la bride sur le cou, il semblait ne pas comprendre que sa retraite était désirée.

  1. Le général mourut à Moscou de la rupture d’un anévrisme, au mois de juillet suivant.