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étrangers qui se trouvent alors sur le sol allemand sont témoins de ce délire[1].

Dès le lendemain survinrent de graves déceptions qui eussent refroidi la nation, si elle n’avait été à ce point fanatisée. D’abord, l’Angleterre sortit de ses « hésitations » et Sir Edward Goschen réclama ses passeports. Ce fut un cri de rage dans toute l’Allemagne, un torrent d’injures contre la déloyauté de ce peuple de marchands ; mais qu’importait un ennemi de plus ? On le châtierait ; d’ailleurs, ce n’était pas la petite armée anglaise qui sauverait Paris ! Ensuite il fallut constater que, décidément, l’armée russe entrait en campagne beaucoup plus vite que ne l’avait cru le grand Etat-major. L’arrivée des fugitifs de la Prusse Orientale jeta, un instant, l’alarme dans Berlin. Mais une immense clameur de victoire couvrit les voix des quelques mécontents qui auraient pu exploiter ces premières désillusions : c’était Charleroi, c’était Tannenberg, c’était la Prusse Orientale délivrée et, à l’Ouest, la ruée sur Paris ! Dès lors la confiance et la crédulité de l’Allemagne n’eurent plus de limites. Elle suivit docilement ses guides.


LA FORMATION DES DOGMES

Les pangermanistes mirent à profit ces premiers mois pour fixer le Credo qui devait servir d’armature morale à l’Allemagne durant toute la guerre. Une fois entrées dans les cervelles, ces idées simples n’en devaient plus sortir. Elles peuvent se ramener à quatre propositions.

L’Allemagne fait une guerre défensive. — On eût bien voulu convaincre tous les Allemands que la guerre leur avait été déclarée par la Russie et la France. Beaucoup en sont restés persuadés, car le 7 juin 1915, au banquet solennel de la Ligue des canaux bavarois, le roi de Bavière en personne ne craindra pas d’affirmer : « La déclaration de guerre de la Russie fut suivie de celle de la France. » Cependant, comme l’imposture était trop forte, il fallut inventer un moyen d’établir le caractère défensif de la guerre, et l’on dit : « Ce qui importe, ce n’est pas qui a déclaré la guerre, mais qui a été obligé de la déclarer ; or, tout le monde chez nous voulait la paix,

  1. Voir les Mémoires de l’ambassadeur Gérard.