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que les premiers cas de grippe signalés chez nous, et ils le furent par le professeur Chauffard dès le mois d’avril dernier, — paraissaient peu graves et peu nombreux, et que, d’autre part, se produisant avant le début de la saison chaude, on comptait sur celle-ci pour en arrêter le développement…et vogue la galère. À cet égard, assurément, on se trouvait d’abord dans des conditions meilleures qu’en 1889, où l’épidémie se déclencha au début de l’hiver qui est, — nous ne le constatons que trop en ce moment, — très favorable à son développement. Il fallait au contraire profiter de ce que les cas étaient peu nombreux et peu graves pour en juguler l’extension par des mesures d’isolement, qui ne sont réellement efficaces qu’alors, et que la multiplication des cas rend ensuite impossible.

Il fallait profiter de ce que l’état de guerre rend très facile la surveillance et la désinfection des voyageurs aux frontières, pour arrêter et exécuter des mesures alors aisées et qui eussent pu être efficaces, — de cela, personne n’est sûr ; — il le fallait précisément pour que l’entrée de l’hiver nous trouvât débarrassés de l’épidémie, et parce qu’il suffisait d’un peu de lectures et de mémoire pour savoir l’extrême contagiosité de la grippe et l’exaltation progressive de sa virulence par passages successifs d’hommes à hommes.

Mais c’est assez récriminer. Tâchons maintenant de comprendre, d’un point de vue exclusivement scientifique, ce qui s’est passé, ce qui se passe, ce qu’on peut et doit faire, ce qu’on espère pouvoir faire.

Le caractère principal de la grippe est son extrême contagiosité, étonnante par sa facilité et par sa rapidité. On a remarqué déjà qu’elle se répand d’un bout à l’autre d’un pays avec la vitesse même des déplacements humains : l’épidémie de 1780 mit six mois pour venir de Saint-Pétersbourg à Paris ; en 1837, elle fit le même trajet en sept semaines, et, en 1889, il était réduit pour elle à deux jours, conformément à l’horaire des grands rapides internationaux.

Chose remarquable, — mais le contraire ne serait-il pas aussi étonnant ? — malgré cette contagiosité depuis longtemps connue, notre administration n’a pas encore inscrit la grippe sur la liste des maladies contagieuses, et c’est seulement depuis quelques jours que M. Mesureur, l’intelligent et actif directeur de l’Assistance publique à Paris, a obtenu, pour le personnel infirmier soignant les grippés de ses services, la modeste « indemnité de contagion » que mérite cent fois son courageux dévouement. C’est que la nature se permet quelquefois de ne pas se conformer aux définitions