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malheureux, affirme l’un, le plus malheureux est celui qui en est réduit à ce point, qu’il ne peut recevoir la paix et qu’il ne peut soutenir la guerre. » Et un autre : « Le plus grand signé qu’on a perdu est qu’on croie ne pas pouvoir vaincre. » Et un troisième : « Ce que la superbe ne leur permit pas de faire au début de la guerre, la peur le leur fit faire dans la suite. » La démission de Ludendorff a été un avertissement, sans doute superflu après la capitulation bulgare et, sur le front occidental, un repli qui, si élastique qu’il se vantât d’être, ne s’est ni arrêté, ni redressé depuis le la juillet. Le bruit de l’abdication de Guillaume II est un autre son lugubre de la même cloche; mais, cette fois; elle tinte du dôme le plus majestueux de l’Empire. Abdiquera-t-il vraiment? n’abdiquera-t-il pas ? Dans le décret par lequel il promulgue les modifications constitutionnelles, il n’y a rien qui autorise à préjuger de sa résolution. On peut en déduire également qu’il se prépare à rester ou qu’il se prépare à partir. La seule certitude est qu’il s’incline : « Un nouvel ordre de choses, proclame-t-il, entre maintenant en vigueur, qui transfère au peuple les droits fondamentaux de l’Empereur. Mais, dans les terribles tempêtes des quatre années de guerre, les anciennes formes ont été détruites, non pour laisser derrière elles des ruines, mais pour faire place à de nouvelles formes vivantes. » Il feint de n’en être pas davantage gêné. Il se rassoit et se fige dans la pose traditionnelle des Hohenzollern : « Le pouvoir -du Kaiser est un pouvoir qui consiste à servir le peuple. » C’est la doctrine du devoir public du prince, selon la formule du Grand Électeur, et ce sont de grands mots. L’épreuve montrera ce qu’en vaut l’aune. La royauté prussienne a été fondée sur cette équivoque; l’Empire allemand ne sera pas transformé de fond en comble par cette équivoque.

Au reste, sous l’Empereur et sous Ludendorff, il y a l’Allemagne, et c’est elle qui nous importe. Il faut que nous le voyions clairement: la dissolution de l’Autriche-Hongrie entraine de toute nécessité pour nous la dislocation de l’Allemagne impériale, de l’Allemagne prussienne ; parce que, si les douze millions d’Autrichiens faisaient, demain ou après-demain, accroissement à l’Empire allemand, vainement l’Allemagne aurait été battue; vainement même elle aurait restitué la Pologne, lâché les provinces baltiques, et nous aurait rendu l’Alsace et la Lorraine; demain ou après-demain, elle aurait, malgré tout et en dépit de sa défaite, gagné la guerre. L’Europe sans Autriche et sans Russie est une Europe déséquilibrée; l’Europe avec une plus grande Allemagne serait une Europe désaxée ou, au contraire, trop