Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la paix pour des générations. Aujourd’hui, tout est si merveilleux, si héroïque ; on dirait que des torrents de feu bismarckien coulent dans notre peuple. » (Deutscher Courier, 2 août 1915.) Voilà l’esprit dont l’Allemagne est alors possédée, tandis que ses métaphysiciens dissertent sur « le réalisme et l’idéalisme allemands confondus et unis contre l’idéalisme des bavards » et que ses philologues instituent la chasse aux mots étrangers, transportés d’aise à la pensée que, déjà ! chauffeur est devenu Schofför, friseur Frisör et gouverneur Governör !

L’exaltation est telle que l’Allemagne subit sans alarme la double désillusion que lui apportent l’hostilité croissante des États-Unis et l’entrée en guerre de l’Italie.

Beaucoup d’Allemands crurent d’abord que leurs nombreux compatriotes établis en Amérique pourraient maintenir un lien d’amitié indissoluble entre l’Empire et les États-Unis. Ils ne tardèrent pas à reconnaître leur erreur. L’écrivain Fulda, qui avait parcouru l’Amérique, déclara que c’était pour lui une « colossale déception. » On attribua l’inimitié des Américains à la propagande anglaise. Il suffirait, pensa-t-on, qu’une contre-propagande montrât sous son vrai jour la pacifique Allemagne pour que les malentendus fussent bientôt dissipés. Il fallut cependant constater que les professeurs envoyés en Amérique échouaient tous dans leur mission, que le sentiment public se tournait de plus en plus contre l’Allemagne, et que l’Entente trouvait chaque jour une aide plus sérieuse auprès des financiers et des industriels des États-Unis. Survint le torpillage de la « Lusitania. » On sait avec quelle joie sauvage la nouvelle en fut accueillie à Berlin. On pouvait dès lors entrevoir qu’une rupture n’était pas impossible, et quelques voix s’élevèrent pour dénoncer le péril. Elles furent vite étouffées. Allait-on, pour complaire au président Wilson, abandonner des méthodes de guerre qui infailliblement devaient amener l’Angleterre à mendier la paix ? Est-ce que, le lendemain de la rupture, les fournitures de munitions à l’Entente pourraient être augmentées ? Elles atteignaient déjà leur maximum. Une fois alliées, l’Amérique et l’Angleterre, prétendait-on, auraient de nouveaux moyens de pression sur les neutres ; mais quels étaient les moyens dont l’Angleterre n’usait pas actuellement ? — Et, dès ce jour, ce fut un débordement de sarcasmes et d’insultes contre le président Wilson, de facéties outrageantes sur la