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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/522

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rouge, appelle maintenant le casque prussien, quitte, lorsque celui-ci sera venu meurtrir le front de la Rhénanie, à mener au nom des catholiques, âpre campagne contre Berlin. Mais la grande masse reste indifférente pour la Kultur et pour tous les Kulturkampf. « Pour les Rhénans, écrit à ce sujet M. Sagnac, la civilisation, c’était surtout la liberté et l’égalité civile, le Code, l’unité territoriale, la prospérité économique, la démocratie… Avec leur bon sens et leur expérience, ils ne risquaient pas, comme l’intellectuel Görres, de prendre l’armée prussienne pour le symbole de la vertu et de la liberté. »

Le fait est qu’en 1813, quand tout s’agitait en Allemagne furieusement contre la France et son Empereur, les départements Rhénans « fournissaient sans troubles, écrit le préfet de Rhin-et-Moselle le 12 avril, proportionnellement plus d’hommes que tous ceux de l’Empire, » qu’après Lutzen et Bautzen, les paysans continuaient, avec une remarquable constance en la confiance, à acheter des biens nationaux, et que Jean-Bon pouvait affirmer que, « personne ne voulant ni être Russe, et encore moins Prussien, » on montrait une joie sincère aux dernières victoires de l’Empereur. A la fin de 1813, la rupture avec l’Autriche semait un peu de trouble sans que l’événement diminuât l’afflux des conscrits et si Leipzig causait, écrit le 8 novembre 1813, le préfet Ladoucette, « un abattement général des esprits, » c’est qu’on pouvait craindre de revoir, de Mayence, de Cologne, de Worms et de Spire, s’allumer sur l’autre rive, la bataille que tant d’années l’Empereur en avait tenue éloignée. En vain les deux agents supérieurs prussiens arrivés sur la rive droite, Justus Grüner et le baron de Stein, tentent-ils des coups de sonde sur la rive gauche : la population accueillait avec une cordialité apitoyée les blessés et malades de la Grande Armée en retraite, ce dont préfets et généraux remerciaient les maires, et nul sentiment pro-allemand ne s’affichait quand, brusquement, le 1er janvier, Blücher franchit le Rhin avec ses hordes.

La domination française tombait de ce fait : on peut dire qu’elle tombait avec tout l’Empire. Et l’Empire tombé, on allait voir, à la stupéfaction et à la colère des Rhénans, le pays livré par le Congrès de Vienne à la couronne de Prusse. Elle n’y avait nul droit : les supposât-on « Allemands, » — et ils venaient de montrer combien peu ils l’étaient après tant de siècles de suzeraineté germanique, — ils eussent admis qu’ils étaient