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aucun intérêt professionnel. Et quel est le sens de cette manifestation ? Les politiciens de la majorité socialiste, ceux qui ont aidé le gouvernement à se rendre maître du mouvement, soutiennent que les ouvriers sont las d’attendre la réforme électorale tant de fois promise ; mais il y a beau temps que les prolétaires allemands n’ont plus d’illusion sur la « démocratisation » de leur pays ; ils savent, d’ailleurs, que seule la paix leur permettra, — peut-être, — d’obtenir des institutions plus libérales. C’est donc la paix qu’ils réclament. Les politiciens eux-mêmes en font l’aveu. « Les ouvriers, dit le Vorwærts, demandent que l’on suive une politique sage et modérée qui ne s’inspire d’aucun orgueil dangereux, qui ne fasse plus verser une seule goutte de sang, à moins d’une nécessité absolue. » (Vorwærts, 27 janvier 1918.) Devant le Reichstag, Scheidemann est encore plus explicite : « Il y a deux partis en présente. L’un pense que la guerre peut être terminée en quelques mois par une défaite écrasante. L’autre se refuse à le croire. L’un demande une paix de conciliation, l’autre une paix fondée sur la force… Nous sommes à la veille d’une lutte terrible dont les conséquences seront incalculables, mais dont nul ne saurait encore prévoir le résultat… Admettez que nous nous emparions de Paris et de Calais, admettez que cette percée formidable ait un plein succès, serions-nous pour cela près de conclure la paix ? Je réponds : non !… Même si nous arrivions à écraser l’Angleterre et la France, aurions-nous ensuite la paix avec l’Amérique ? »

L’agitation des ouvriers s’apaise vite. La bourgeoisie que ces scènes tumultueuses a choquée dans son amour de l’ordre, n’en sera désormais que plus respectueuse du pouvoir militaire. Cependant, une lourde appréhension continue de peser sur l’Allemagne. Celle-ci a conscience qu’elle ne peut se passer de ses chefs militaires sans courir à un désastre ; mais, du côté de la Russie, elle redoute des aventures et des surprises, et, du côté de l’Ouest, si elle croit toujours à la victoire, elle entrevoit d’effroyables hécatombes.


NERVOSITÉ DE L’OPINION A LA VEILLE DE LA GRANDE OFFENSIVE

Rien ne peut dissiper ce malaise. A la conférence de Versailles, l’Entente a affirmé sa volonté de poursuivre la lutte