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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/619

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Dont les cloches sonnaient sur les basses maisons,
Toute la ville avec ses jours et ses saisons
Je la revois au fond de ma lointaine enfance…
Je revois les Fossés, le Cours, la Lieutenance
Et les roides sentiers qui vont au Mont-Joli,
Tous ces noms qu’à mon cœur le souvenir redit,
Et la Côte Vassale et la Côte de Grâce,
Et, de là-haut, la mer, le ciel vaste, l’espace,
Tout ce que vous avez magistralement peint,
O peintre du pays normand, sobre BOUDIN,
Vous que j’ai dû jadis rencontrer, la palette
Au poing, quand vous cherchiez la vérité secrète
De l’heure et du moment dont vous saviez saisir
La nuance furtive, instable et qui va fuir,
Attentif, au milieu de quelque paysage,
Au bord de quelque chemin creux ou sur la plage
Où peut-être mes jeux dérangeaient d’un galet
Votre boîte à couleurs et votre chevalet !


EUGÈNE CARRIÈRE


Le crépuscule vient sur la ville embrumée
De tristesse, de soir, d’automne et de fumée,
Et c’est l’heure où chacun rapporte à la maison
Ce que ses yeux ont vu aujourd’hui d’horizon,
Ce que sa main a récolté, ce que son âme
Sous la cendre du jour conserve encor de flamme,
Où le cœur saigne encor comme il saignait jadis,
Où le silence est plein des mots qu’on n’a pas dits ;
C’est l’heure où le passé, du présent qui recule,
S’ébauche, parce que se mêle au crépuscule,
Fantôme rose et gris des villes embrumées,
Le Souvenir avec ses voiles de fumées…

C’est alors qu’il est doux, quand la porte, ô passant,
Se referme derrière toi et que tu sens
La chaleur du foyer qui soudain t’environne,
D’oublier la tristesse et le soir et l’automne,
Et tout ce que les jours amassés sur un cœur
Y laissent de regret, de haine ou de rancœur,