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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/636

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Le sieur de Beaulieu, parfait géographe et le meilleur artiste qui ait prêté son crayon, avant Martin et Van der Meulen, à la représentation des batailles si bien ordonnées et assez pompeuses du XVIIe siècle, a gravé la vue de Nordlingen tel que ce pays figure en Souabe, au Nord du Danube, un peu au-dessus d’Augsbourg. En cette planche, on peut voir Nordlingen avec ses bastions, redans, ponts-levis, fossés, toits coniques, églises, maisons, et aussi ses tours crénelées et bien bâties ; mais le sieur de Beaulieu, avec cette science de perspective admirable et ce secret de dresser des plans qui n’appartient qu’à lui, a tenu à représenter, en plus de la ville, toute l’étendue de pays et le village d’Allerheim notamment en perspective. Cette planche, avec ses mouvements de plaine, la disposition des cours d’eau, cultures et, çà et là, des bois et des moulins, n’est pas loin, aperçue en panorama, de ressembler à un échiquier ; mais c’est un échiquier sur lequel de terribles joueurs, au lieu de pièces de bois, eussent fait en sorte d’assembler à profusion les carrés de l’infanterie, la cavalerie selon les replis et vallonnements, enfin le canon sur les hauteurs. Une banderole, au-dessus du cadre, en développant sa guirlande, nous apprend que c’est là, sur ce grand théâtre, en Souabe et devant Nordlingen, qu’eut lieu « le troisiesme jour d’aoust 1645, la rencontre entre les armées du T. Chrestien Louis XIV, Roy de France et de Navarre, commandée par Mgr le duc d’Anguyen prince du sang, pair de France et l’Impériale et Bavaroise, commandée par les généraux Gleen et Mercy. »

Entre tant de batailles où prirent part, de l’un et l’autre côté, plusieurs grands capitaines, où s’affrontèrent les troupes les plus expérimentées et les plus braves de toute l’Europe, et dont le résultat favorable aux Français jeta chez l’ennemi tant de confusion, il en est peu, — sauf Rocroi sans doute, — qui aient été célébrées autant que Nordlingen.

L’abbé Raguenet, l’un des biographes de Turenne, veut que ce soit en « rompant, du premier effort, tous les escadrons ennemis qui étaient sur la montagne », en défaisant « l’infanterie qui y était aussi, en faisant prisonnier le général Gleen et en prenant le canon » que le vicomte de Turenne s’assura du triomphe de nos armes ; mais, Turenne, dans ses Mémoires, avec cette modération, cette modestie et cette noblesse qui n’appartiennent qu’aux héros véritables, a montré que