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en janvier. Quand elle monte au vitrage, la frontière est franchie, le convoi est entré en Allemagne. A droite, à gauche, uniformément, la campagne s’étend couverte de neige : vastes espaces immaculés que ponctue de traits noirs le vol bas des corbeaux. Cette terre désolée semble inhabitée : « Nous supposons qu’on a voulu, pour nous faire éviter les villes, nous transporter par une voie construite pour les nécessités militaires. Je ne me rappelle nous êtreêtées qu’à deux gares : Cassel, Gœttingue. »

Le voyage dure soixante-six heures, pendant lesquelles les voyageuses grelottent dans les compartiments qui, pour la plupart, n’ont été chauffés que la première nuit. Elles sont quatre cents, maintenant, et de tous les âges. Une vieille femme a plus de soixante-dix ans. Quand elle arrive au terme du voyage, son état est pitoyable. Elle ne fait que passer au camp de représailles. Presque immédiatement, il faut l’admettre au lazaret où elle doit demeurer tout le temps de sa déportation : « Nous ne souffrions pas seulement du froid, dit Mme V… mais de ne pouvoir descendre pour les besoins les plus nécessaires. Dans la partie de mon convoi, nous n’avons été autorisées à le faire qu’une seule fois chaque nuit et la sentinelle nous a accompagnées. »

Ce n’est qu’au milieu de la troisième nuit que les captives arrivent à Holzminden. Ordre leur est donné de descendre. Elles obéissent, s’acheminent vers la sortie. Des hurlements, des cris féroces viennent jusqu’à elles. Pour attendre les otages, pour les bafouer, les injurier, une partie de la population de la petite ville a veillé, dehors, dans la nuit glaciale ! Des hommes, des femmes, des enfants se pressent aux entours de la gare et non pas, comme on pourrait le croire, des gens du bas peuple. Beaucoup appartiennent à la « société. » Les prisonnières remarquent des dames en chapeaux élégants, enveloppées dans de précieuses fourrures. « Non contents de nous huer, de nous faire des grimaces, ces Boches ramassent des pierres, nous les jettent. » Les sentinelles regardent, laissent faire et les officiers qui commandent se moquent des captives. On est en janvier 1918, ne l’oublions pas : après plus de trois ans de guerre, la mentalité de nos ennemis n’a pas changé.

Les soldats font aligner les « otages », les pressent de se mettre en route : Los, los, schnell !