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semaines, la laine, le fil, les aiguilles nous firent défaut. »

La conversation elle-même n’était pas une ressource. Les captives n’avaient pas tardé à s’apercevoir qu’elles étaient sans cesse, non seulement surveillées, mais épiées. Leurs moindres paroles étaient entendues, rapportées et, souvent, dénaturées. Chacune finit par vivre repliée sur soi.

Pour réagir, pour lutter contre la tristesse déprimante, des « dames » organisèrent quelques réunions. Ce furent les rares bons moments de ce séjour de souffrances, ceux où, grâce à la magie des vers, de la musique, on parvenait à oublier.


À plusieurs reprises, un grand remue-ménage eut lieu dans les baraquements. Ordre fut donné d’y tout ranger, d’y tout nettoyer méticuleusement. Une visite de neutres allait avoir lieu ! « Nous avons vu ainsi défiler des commissions d’Espagnols et de Suisses : quatre, autant que je me rappelle. Pour les premières, stricte défense nous fut faite de parler aux délégués. Quand vint la dernière, au contraire, on nous encouragea à exposer nos griefs. Nous le fîmes avec modération, car, je ne sais sur quels indices, nous soupçonnions que ces neutres étaient de faux neutres. Nous nous plaignîmes de la façon dont nous étions logées et nourries, dont nous étions traitées. L’un des membres de la Commission, un vieux bonhomme à lunettes, aussi grand que gros, nous répondit, avec l’air de se moquer :

— Il faut écrire à vos députés, protester auprès de votre Gouvernement… faire pression sur lui. »

À cette réponse, les otages ne doutent plus de la véritable nationalité des neutres prétendus. Les Allemands ont imaginé une abominable comédie. « Alors, dit Mme  V… nous répondîmes que nous ne réclamerions pas auprès de notre gouvernement, car, dans l’ignorance où nous étions de ce qui se passait, nous ne pouvions savoir si nos réclamations ne viendraient pas contrarier des projets importants ; nous ne voulions pas que des intérêts généraux fussent sacrifiés à notre intérêt particulier. Les délégués écoutèrent et se retirèrent furieux. C’étaient bien des Allemands ! » Cependant, les visites des neutres, les visites authentiques, ne furent pas absolument inutiles. Elles eurent, parfois, indirectement, un résultat heureux. C’est ainsi qu’avant le passage d’une commission suisse,