Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L’ARMÉE [1]


France, France, sans toi, le monde serait seul.
VICTOR HUGO.


Alfred, de Vigny, dans les « Souvenirs » de sa vie de soldat, nous montre une armée si émouvante de servitude et de grandeur qu’elle pouvait sembler les avoir, l’une et l’autre, épuisées. Combien, pourtant, ce double aspect se révèle plus pathétique dans notre armée durant cette guerre où un abîme de servitude se borde d’un sommet de grandeur !… Notre armée dans cette guerre… quel plus haut sujet proposer à nos pensées qu’il convie, comme le clocher de nos campagnes appelle les hirondelles familières qui viennent l’enlacer de leurs orbes du soir !


* * *

La guerre semblait hésiter encore que déjà sa servitude s’imposait… La splendeur d’août vibrait sur les campagnes, la glèbe rayonnait du soleil des moissons, et soudain toutes les cloches se mirent à tinter le glas de la paix. Toutes s’unissaient, les gros bourdons des villes épandant leurs amples sons en cercles indéfinis de gravité et d’émoi, les cloches argentines des campagnes, plutôt faites pour la joie des dimanches, dépaysées d’un si grand rôle et dont la gentillesse, soudain assombrie, avait la mélancolie des enfants endeuillés ; les cloches, toutes les cloches mêlaient leurs voix et tendaient sur la France comme un grand voile frémissant et sonore. Toutes tintaient, unies comme elles ne le sont qu’aux soirs des Toussaints, pour la « Fête des morts »… Et de combien de morts nouveaux elles sonnaient ainsi la fête prochaine de douleur et de gloire !

Par elles, l’appel du sol planait au-dessus du sol. Il devenait

  1. Discours qui a obtenu le prix à l’Académie française au concours pour le prix d’éloquence.