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l’appel des clochers, hautes tours des veilles nécessaires sur la vie morale des peuples, phares de la lumière qui ne doit pas s’éteindre, symboles de tous les élans vers l’infini et piédestaux, enfin, du Coq gaulois, dont il semblait que le chant soudain allait faire jaillir le soleil des revanches.

Nulles cloches, jamais, n’éveillèrent tant d’échos dans les cœurs. Par elles, pourtant, s’imposaient déjà tous les déchirements de la guerre. Elles étaient l’appel irrémissible. Nul, parmi tous ceux que la patrie avait désignés pour servir son destin, ne songeait à le repousser. Combien, cependant, auraient pu ajouter aux excuses du récit de l’Evangile ! Celui-ci vient de poser la première pierre de son foyer ; cet autre est le seul soutien d’enfants demeurés sans mère ; en voici qui se penchaient sur le berceau d’un nouveau-né… Tous avaient leurs bonheurs, leurs devoirs, leurs soucis… Et tous doivent partir, les uns pris au collet par la mobilisation et jetés, par le premier train, vers la frontière bientôt sanglante ; les autres qui voient s’écouler, jour par jour, heure par heure, les délais impartis et connaissent cette lente angoisse de la séparation inéluctable, à chaque minute plus prochaine, qui est comme l’agonie du cœur…

Tous sont partis, cependant, et ceux-là même que l’ordre de la Patrie, dans la paix, avait laissés rebelles, accouraient d’autres frontières, fuyant une sécurité de lâcheté et ne gardant de l’ancienne défaillance que la volonté d’en effacer jusqu’au souvenir.


Asservis au devoir, tous les Français mobilisables étaient aux camps ou aux frontières. Et voici que la patrie va, tout de suite, exiger de son armée le plus redoutable sacrifice, la plier à la plus rude servitude : la retraite… On était « parti joyeux pour des courses lointaines, » et l’on avait salué l’ombre de Déroulède debout près des poteaux-frontières abattus. Mais, faussant du premier coup le terrible jeu, l’Allemand, pour qui « nécessité ne connaît pas de loi, » renverse ce rempart de droit que nous créait la neutralité d’un pays qu’il avait juré de respecter. David peut bien armer sa fronde aux plaines de Belgique : ils sont trop de Goliaths. Et la nation martyre, perdant tout ce que gagne l’agresseur, mais gardant tout ce qu’il perd, préfère laisser envahir les frontières de son sol pour